55. La Louisiane, quelle histoire !

Avant d’y être allé, j’imaginais la Louisiane réduite au seul état actuel des États-Unis. Une fois sur place, un peu plus investi dans l’histoire du pays, je découvre l’ampleur à la fois de mon ignorance et du territoire initial de ce qui a été la Nouvelle France. Près du tiers de l’Amérique du Nord, rien que ça ! Pour ceux comme moi qui ne le savaient pas, je vous ai fait un petit résumé du passé mouvementé de la région. Pour les autres, vous pouvez passer directement au second chapitre.

La Louisiane, le pays dont personne ne voulait

Quand les grandes forces européennes sont parties à la conquête de l’Amérique au XVIème siècle, l’Angleterre s’est octroyée la côte Est de l’Amérique du Nord, tandis que les Espagnols arrivés par le Sud ont plutôt colonisé l’Ouest et la Floride. La France, ne voulant sans doute pas paraître faible ou bien pour éviter que l’une des deux nations ci-dessus écrase l’autre, a pris ce qui restait, c’est-à-dire une large bande centrale allant du Canada au Golfe du Mexique, occupant un bon tiers des actuels États-Unis. Le conquérant français a nommé Louisiane toute la partie au sud des Grands Lacs, en l’honneur du Roi Louis XIV. Toutefois, ce dernier n’était pas vraiment convaincu par cet agrandissement de son territoire, tout occupé qu’il était à aménager Versailles. Quelques familles et quelques troupes ont bien été envoyées là-bas, deux à trois cents personnes en tout, une broutille par rapport à l’étendue du territoire. Sans moyens, sans convictions, la plupart rentraient au bout de quelques années, abandonnant au passage femmes amérindiennes et enfants.

La Louisiane en 1700
La Louisiane au sein de la Nouvelle France avant 1713

Louis XIV au bord de la ruine et peu avant sa mort privatisa alors la région, la donnant en gestion d’abord à un homme d’affaires français qui finalement ne la fit pas (l’affaire) puis, alors qu’on était passé à Louis XV, à un banquier explorateur d’origine écossaise qui avait néanmoins la confiance du monarque. Le banquier changea radicalement de méthode en envoyant à la place des Français trop peu motivés 7000 personnes recrutées ou enlevées de l’autre côté de la frontière Est de la France, pour une forte proportion jugés indésirables dans leurs pays respectifs (anciens forçats, vagabonds, brigands, déserteurs ainsi que des « femmes de mauvaise vie » dont la célèbre Manon Lescaut) et qualifiées du terme générique d' »Allemands ». Rentabilité oblige, le financier fit aussi venir d’Afrique un nombre similaire d’esclaves, soit bien moins que les autres nations. Si ça ne déresponsabilise pas la France pour autant, ce « faible » nombre explique peut-être en partie que la compagnie dirigée par le banquier fut mise en banqueroute quelques années seulement plus tard.

Pendant ce temps, Anglais et Espagnols bien plus investis dans la colonisation grossissaient leurs effectifs respectifs et rêvaient d’étendre leurs territoires. Mais sans rêver de la Louisiane pour autant, jugée non rentable en termes de qualité de sol et de sous-sol. Vint le moment où la France s’engagea dans la Guerre de 7 ans (1758-1763) contre les Anglais et la perdit. Elle dut céder la moitié Est de la Louisiane (et le Canada) à son adversaire et réussit à refiler l’autre moitié à l’Espagne, si peu intéressée qu’elle mit 4 ans à en prendre possession.

La Louisiane en 1762-1763

A l’inverse, lorsque la Louisiane redevint française 40 ans plus tard suite à la victoire de Maringo en 1800, la France, dirigée alors par Napoléon Bonaparte ne se précipita pas pour la réoccuper, laissant un temps les Espagnols la défendre. Et lorsque la date de prise de possession fut enfin fixée au 18 mars 1803, la France s’empressa de vendre le 20 avril la Louisiane aux États-Unis qu’elle jugeait mieux aptes qu’elle à la protéger des Anglais. Bonaparte n’avait pas tort, mais tout de même, la France a perdu, faute de s’en occuper, un territoire hautement stratégique et grand comme quatre fois le sien, représentant aujourd’hui 15 des 52 états américains.

Ce chapitre n’est qu’un résumé de l’excellent article sur le sujet que je me suis régalé à lire ici et que je vous conseille si vous voulez plus de détails.


Dernière nuit au Texas

Le parc naturel évoqué dans le précédent article nous refusant l’hospitalité et peu enclins à rouler beaucoup aujourd’hui, nous nous réfugions dans le RV-park le plus proche. Les RV-parks, ça ressemble un peu à nos campings ou nos aires de services pour véhicules de loisirs, mais de loin tout de même. En fait, il y a de tout. Du simple terrain vague sans aucun équipement, dont on se demande bien pourquoi les gens s’y réfugient, jusqu’au camping 4 étoiles luxueux similaire aux nôtres. Les américains se réfugient quasi-systématiquement dans les RV-parks pour la nuit, et parfois même à demeure, car leurs camping-cars ne sont pas conçus pour être autonomes. Ils sont même gigantesques, déjà très longs, mais en plus devenant très larges une fois garés grâce à des caissons latéraux extractibles. Ils sont équipés de gros frigos, de fours, de climatiseurs, de machines à laver comme à la maison. Comme si cela ne suffisait pas encore, ils tractent volontiers une remorque, une caravane ou bien une voiture. Énergivores et volumineux, ils ne peuvent guère séjourner que sur des terrains spécialisés, alors que de notre côté nous avons suffisamment d’autonomie pour rester dans la nature sans bouger une douzaine de jours en été (davantage si nous pouvons trouver de l’eau), et deux ou trois jours en hiver (les panneaux solaires ne compensant plus la consommation, il nous faut alors rouler pour augmenter notre autonomie).

Roberto bien petit à côté de ses voisins

Notre terrain du jour est plutôt spartiate. Déjà il nous faut trouver l’accueil. Renseignement pris auprès d’un résident d’une sorte de mobile-home, le propriétaire n’est pas là, il faut l’appeler, mais il nous propose de l’appeler à notre place. Le proprio lui communique une place et déclare qu’il passera récupérer ses sous (12 $) dans la soirée, ce qu’il fera effectivement. Pour ce prix nous avons droit à un emplacement avec un robinet d’eau. Nous aurions pu nous brancher aussi en cas de besoin, ce qui n’était pas le cas. Nous avons accès à une salle d’eau unique en béton brut, avec douche chaude lavabo et WC. Une seule pour tout le camping, mais c’est suffisant car les locaux restent dans leur maison sur roues. Nous, quand on peut trouver une douche supérieure à 1 mètre carré, on profite… Voyant les gens sortir leur barbecue, nourrir leur chien en cage, allumer leur télé, nous avons craint un moment que la soirée soit très animée, mais non, la nuit a été plutôt calme.


Étapes en Louisiane

Que ce soit sur les routes secondaires ou les autoroutes, la verdure et l’eau sont omniprésentes en Louisiane, cela contraste avec les plaines arides du Texas. Compte-tenu de la grande surface occupée par les marécages (les fameux bayous), les voies de circulation sont souvent surélevées, voire carrément sur pilotis, par centaines de kilomètres, ou plutôt de miles. Car effectivement, depuis notre arrivée aux US, nous avons dû abandonner le système métrique. Autant s’y mettre de suite pour mieux apprécier les limites de vitesse ou les distances affichées sur les panneaux. D’ailleurs, nos deux applications de routage GPS ont adapté leur affichage sans aucune intervention de notre part.

Plaque minéralogique de l’état de Louisiane. Une particularité : il n’y en a pas à l’avant.

Le réseau routier, contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’un pays riche, n’est pas en super état. Les nids de poule, sans avoir l’ampleur de ceux du Mexique, sont très fréquents. En de nombreux endroits, les routes sont faites d’un matériau qui fait un bruit aigu en roulant, ou sont construite par plaques qui donnent l’impression de rouler sur une vieille voie de chemin de fer. La circulation n’est pas si facile non plus, surtout sur les autoroutes où la circulation est anarchique. Les limites de vitesse ne sont pas respectées et les dépassements se font aussi bien par la gauche que par la droite. Quand vous avez deux énormes semi-remorques qui vous doublent en même temps, un de chaque côté, c’est un rien stressant ! Et si vous voulez rester à droite pour éviter ça, immanquablement vous vous retrouvez sur une bretelle de sortie. Le point positif pour les autoroutes, que nous tentons néanmoins d’éviter dans la mesure du possible, c’est qu’elles sont gratuites.


1. La fabrique du Tabasco

Si notre guide Lonely Planet États-Unis n’en parlait pas, le site Authentik USA présentait la visite comme incontournable. Alors nous y sommes allés et n’avons rien regretté. Comme quoi il faut toujours multiplier ses sources d’information.

C’est ici, près de la ville de La Fayette, dans l’île d’Avery, ainsi appelée bien qu’elle soit en plein milieu des terres parce qu’il s’agit d’une zone circulaire complètement entourée d’une rivière marécageuse, qu’un banquier désœuvré suite à la Guerre de Sécession a mis au point la célèbre sauce au piment rouge en 1868. Edmund McIlhenny souhaitait simplement donner du goût aux rares aliments disponibles dans cette période. Une reproduction de son carnet de notes expose d’ailleurs, en guise de preuve, la recette originale. Recette qu’il a testée d’abord auprès de son entourage en la conditionnant dans d’anciens flacons d’eau de Cologne, ce qui explique la forme du conteneur encore aujourd’hui d’actualité.

Tout le processus de fabrication est présenté de façon pédagogique et vivante. On apprend que les piments provenant de la région de Tabasco au Mexique sont semés en juin puis récoltés en août, uniquement lorsqu’ils sont à point, c’est-à-dire lorsqu’ils ont atteint la couleur du petit bâton que possède chaque cueilleur. Ils sont ensuite lavés, réduits en purée puis mélangés à du sel. Et ça tombe bien, du sel il y en a beaucoup car l’île est en fait un « dôme de sel », une formation géologique particulière qui descend ici plus de 9 km sous le niveau du sol. La purée salée est alors mise à fermenter dans des tonneaux en chêne scellés au sel pendant une durée de 3 ans. Cette phase terminée, la purée de piment est malaxée de façon intermittente avec du vinaigre pendant plusieurs semaines avant d’être filtrée et mise en flacons.


Comme nous ne sommes pas dans la période de récolte, nous ne verrons pas les toutes premières étapes, mais tout le reste de l’usine est en activité, de la fabrication et du stockage des fûts jusqu’à l’embouteillage, en passant par le mélange final avec le vinaigre. Cela rend toujours les choses bien plus concrètes. Mais le plus concret, c’est bien sûr la dégustation, avec modération ici encore plus qu’ailleurs, mais pas pour les raisons habituelles !


2. Jungle Gardens

La visite des jardins attenants à l’usine était incluse dans le prix du billet, alors nous nous sommes dits pourquoi pas ? Mais ce que nous prenions pour un simple bonus s’est avéré être une attraction à part entière.

L’immense parc peut se parcourir aussi bien en voiture – ce que font la grande majorité des visiteurs – qu’à pied, solution que nous avons privilégiée. Nous sommes frappés d’emblée par ces grands arbres dont les branches sont couvertes de plantes épiphytes, certaines en forme de petites fougères, d’autres plus impressionnantes se présentant comme de grandes barbiches qui pendent et se balancent au gré du vent. Elles sont d’ailleurs appelées parfois barbes de vieillard ou encore filles de l’air, mais la dénomination la plus courante ici est celle de mousse espagnole. Ces plantes ne dépendent pas des arbres qui les supportent puisqu’elles n’ont pas de racines. Elles vivent simplement de l’eau de ruissellement et se propagent d’un endroit à un autre emportées par le vent. Elles sont volontiers utilisées ici pour garnir les matelas, moins coûteuses que les billets de banque. Nous avons adoré nous y promener.


3. J’Acadie : « Plongez dans le passé ! »

Toujours à La Fayette, un centre culturel est consacré à la culture « cajun » (« cadien » prononcé par un anglais chiquant du tabac) et nous en apprend un peu plus sur ce peuple d’émigrés français au Canada, brutalement arrachés à leur terre d’adoption par les Anglais qui venaient d’en hériter et savaient qu’ils n’arriveraient à imposer ni leur langue ni leur religion à ces irréductibles gaulois. Après une période de cavale, d’emprisonnement ou de retour forcé en France, beaucoup se sont retrouvés en Louisiane où ils ont fondé la « Nouvelle Acadie ». Peu de temps avant que la région ne devienne espagnole puis américaine. Quand on a la poisse… Cela ne les a pas empêchés de maintenir leur culture, leur religion et leur langue un peu particulière faite d’un mélange de vieux Français, de Canadien et de Créole.

A l’image de ces « courses des chevals », orthographiquement correctes en Acadien uniquement, un certain nombre d’expressions perdurent, colorées et parfois si logiques. Comme par exemple : asteur = maintenant (à cette heure) ; débourrer = déballer (un cadeau par exemple) ; froliquer = faire la fête ; galance = balançoire (pour se galancer, tiens) ; mouiller = pleuvoir ; plats = plats, mais aussi (ce serait trop simple) tasses, verres, couverts, en gros tout ce qu’on appellerait vaisselle ; plumer = éplucher (plumer des patates par exemple) ; poutine = boule faite d’un mélange de porc et de pommes de terre râpées (après avoir été plumées bien sûr)

Le centre culturel est complété par un village acadien reconstitué. Comme souvent aux États-Unis, c’est animé par des bénévoles qui nous présentent chacun un travail, une maison, voire poussent la chansonnette.


4. La Nouvelle-Orléans

A la Nouvelle-Orléans, berceau du jazz, il est normal de trouver des statues d’Armstrong ou de Bechet dans les jardins et de rencontrer des brass band un peu partout. En que capitale de la Louisiane, ex colonie de la France au passé mouvementé, il n’est pas étonnant que les plaques de rues portent des toponymes français, espagnols ou américains. A la Nouvelle-Orléans, des bateaux munis de roues à aubes naviguent encore sur le Mississipi, tout près du célèbre quartier français avec ses maisons coloniales aux jolis balcons en fer forgé.

Sous les arcades, les boutiques d’artisanat ou d’antiquités alternent avec les restaurants où l’on sert une cuisine cajun bien relevée. Juste devant la cathédrale Saint-Louis, comme par provocation, des sorciers vaudou désenvoûtent les passants. Et près du marché français trône une statue équestre de Jeanne d’Arc. Elle n’a pourtant pas délivré la Nouvelle-Orléans des Anglais que je sache !


5. Le réveil du couloir des tornades

Nous nous réveillons avec un ciel soudainement gris et du vent qui fait osciller Roberto. La météo annonce « Alerte rouge vents violents avec risque de tornades ». Pas de chance, c’est aujourd’hui que nous avons réservé une mini-croisière sur le Mississipi en bateau avec roues à aubes. Nous nous rendons tout de même à l’embarcadère. Au guichet on nous confirme malheureusement l’annulation du départ. C’est qu’ici, dans une région régulièrement touchée par les tornades et les ouragans, on ne plaisante pas avec la météo, et ça se comprend. Le site meteomedia.com, fait justement un article sur le « couloir des tornades » dont fait partie la Louisiane. Dommage.

Nous n’avons plus qu’à poursuivre notre découverte à pied de la ville, au milieu des vieux tramways, des statues de musiciens de jazz, des immeubles qui semblent vouloir toujours être plus hauts que leurs voisins.
Nous nous arrêtons dans un musée consacré aux artistes du sud de l’Amérique du Nord, dont un cubain (Luis Cruz Azaceta) qui a le don pour mettre ses idées noires en couleurs. Son expo est d’ailleurs intitulée « What a wonderful world », c’est dire !


Puisque la journée est pourrie, nous allons faire notre lessive dans une laverie automatique. Comme son enseigne l’indique, elle fonctionne avec des pièces, mais seulement des « quarters » (0,25$). J’ai commencé par changer le plus petit billet que j’avais, 20$, et j’ai eu l’impression de rafler la mise dans une machine à sous. Les 80 pièces pesaient bien lourd dans mes poches… Et Il a fallu en insérer pas mal dans la machine pour arriver aux 4,50$ du prix du lavage. Bon, ça occupe…


Pour finir la journée en beauté, la pluie, les éclairs et le tonnerre sont arrivés et puis nous avons reçu cette alerte tornade nous invitant à nous réfugier urgemment dans l’abri le plus proche. Mais comme personne ne bougeait autour de nous, nous avons attendu patiemment que ça passe. A Rome fais comme les Romains font.


La nuit s’est terminée dans le calme et nous avons pu poursuivre notre route vers l’état du Mississipi. A bientôt !