Un seul de ces passages de frontières était pourtant prévu à la sortie des États-Unis début juin pour la poursuite de notre périple au Canada, mais les circonstances en ont décidé autrement. D’abord une circonstance joyeuse aux Chutes du Niagara où nous a pris soudainement l’envie, alors que nous étions du côté américain, d’aller les observer du point de vue canadien avant de retrouver Roberto aux US. Un autre passage de frontière plus tragique nous obligera quelques jours plus tard à retourner au Canada puis en France pendant quelques jours avant de reprendre notre parcours là où nous l’avions laissé.
Chutes du Niagara
Ce sont l’une des merveilles de la Terre et la visite nous a paru incontournable. Nous avons joué le jeu à fond en allant les contempler de plusieurs points de vue : en longeant la rivière tumultueuse, en grimpant sur la tour d’observation et sa proue trônant 86 m au-dessus du vide, en escaladant la passerelle qui rejoint la cataracte à mi-hauteur, en embarquant munis de ponchos en plastique – car oui, ça éclabousse pas mal – sur un bateau qui s’aventure jusqu’aux pieds de la célèbre cascade du fer à cheval. Tout ça c’était du côté américain, mais comme nous n’en avions pas assez, nous sommes allés voir les chutes du côté canadien. Rien de plus facile, il a suffi de traverser à pied en moins de 10 mn le Rainbow Bridge qui relie les deux pays. Bon, honnêtement, il a bien fallu consacrer 15 mn supplémentaires aux formalités administratives d’entrée ay Canada, mais cela valait le coup. De l’autre côté, avec la lumière de l’après-midi et l’angle de vue différent, c’est un autre spectacle que nous avons contemplé. Le tout dans un bruit assourdissant et permanent. Et c’était vraiment impressionnant que de voir ces tonnes d’eau se déverser (2 800 chaque seconde !) dans une brume envahissante qui s’élève bien au-dessus des chutes et où de jolis arcs-en-ciel se forment. Une visite somme toute vivifiante. Saviez-vous qu’en 1948 les chutes se sont arrêtées de couler pendant 3 jours, en raison de la formation d’un gros bloc de glace en amont ? Certains se sont alors aventurés dans le cours d’eau soudain asséché, sous les falaises. Je ne crois pas que nous l’aurions fait.
Corning ou l’art de se mettre au verre
Le nom de Corning me disait quelque chose. Une marque inscrite sur la verrerie de laboratoire du temps où j’étais étudiant. Tubes à essais, Béchers, Erlenmeyers et autres cristallisoirs, réputés pour leur grande résistance aux chocs et aux changements brutaux de température. Normal, Corning est l’inventeur du Pyrex. C’est aussi et je l’ignorais le nom de la ville de Pennsylvanie d’où tout est parti. Apprenant que l’usine originale faisait encore référence en matière de verrerie d’art, les grands amateurs de la chose que sont Claudie et moi n’ont pas manqué de faire un crochet pour aller y jeter un œil. Nous nous sommes régalés pendant quelques heures à observer les magnifiques œuvres collectionnées comme réalisées sur place, à voir travailler en direct les souffleurs de verre, à apprendre les étapes de la maîtrise de la fabrication du matériau au fil des époques, à comprendre comment l’on fabrique en série des assiettes, des bouteilles ou encore des miroirs de télescopes.
Et puis soudain la nouvelle est tombée. Mon père qui n’allait plus très bien depuis quelques jours venait à sont tout de franchir une frontière, bien plus terrible que notre passerelle, celle du monde des vivants. Certes il est parti en douceur à 90 ans, mais cela ne console qu’à moitié.
Réorganiser le voyage
Il nous faut donc rentrer en France pour les obsèques, et réfléchir à l’endroit d’où nous allons partir. Notre visa américain était encore valable un peu plus de 2 semaines. Cela risquait d’être un peu juste en cas de retour retardé pour une raison quelconque : le nouveau visa qui nous serait attribué courrait alors pour 90 jours Canada compris. Le plus sûr est donc de faire l’aller-retour depuis le Canada et de shunter la partie Nord-Est des États-Unis. Nous prenons des billets d’avion aller-retour Toronto-Paris et du coup refranchissons la frontière aux Chutes du Niagara, avec Roberto cette fois. Presque une formalité. Personne côté américain – comment sauront-ils que nous avons quitté leur territoire ? – et un douanier sympathique côté canadien qui cède même sa place à un confrère francophone pour nous faciliter la tâche. Un simple contrôle des passeports et de l’enregistrement en ligne « arrivecan » que nous avions réalisé 2 jours plus tôt et nous voilà parvenus au pays à la feuille d’érable. Roberto n’aura même pas été contrôlé !
Parenthèse française
Je ne m’étendrai pas sur cette semaine éprouvante mais nécessaire dont le bon côté a été, comme toujours dans ces circonstances, de revoir toute la famille ou presque. Vous n’aurez ni humour ni photo, encore que j’ai hésité à vous mettre celle de la belle cathédrale de Bourges quasi comble de spectateurs venus assister comme nous à un spectacle de trompes de chasse, en essayant de vous faire croire à la forte popularité de mon papa. Mais non, j’ai respecté sa mémoire.
Le dernier des 6 franchissements de frontières
Un bel Airbus 350 d’Air France nous a ramenés au Canada. J’ai été un peu surpris d’emblée de partir plein Nord, en direction de Calais puis de l’Islande. Mon ingénieur de père m’aurait sûrement rappelé, s’il avait été encore là, que si le chemin le plus court sur une projection à plat de la Terre était bien la ligne droite, il devenait une ligne courbe appelée arc géodésique si l’on redonnait à notre planète ses rondeurs naturelles. Du coup nous sommes passés tout près de l’Islande avant de traverser le Sud du Groenland, immense étendue de plaines et de montagnes enneigées fendues par de grandes vallées glaciaires toutes gelées et entourées d’une banquise en cours de fragmentation formant sous les effets du vent et des courants de véritables galaxies des mers.
Arrivée mouvementée
L’arrivée à Toronto n’a pas été une sinécure. Pourtant partis à peu près à l’heure, nous avions déjà une trentaine de minutes de retard (peut-être que finalement l’avion aurait dû partir plein Est ?). Mais cela ne serait rien si l’on ne nous avait pas annoncé alors qu’en raison de l’engorgement des douanes, nous devrions rester un moment dans l’avion avant de débarquer 50 par 50. Plus d’une heure et demi après, nous sortons enfin de l’appareil, un peu énervés. Mais nos tracas ne s’arrêtent pas là car il nous faut alors patienter dans une très longue queue dont les zig-zags passent même par les toilettes tellement la salle est comble. Après un contrôle policier peu aimable, il nous reste à récupérer nos bagages qui ne circulent plus depuis longtemps sur les tapis mais ont été entassés au milieu de la salle. Ce n’est que 2h30 après notre arrivée que nous sortons enfin de l’aéroport, avec encore beaucoup de mal pour trouver la navette qui rejoint le parking, indiquée nulle part. Nous retrouvons avec joie Roberto, notre cabane au Canada, intact et démarrant au quart de tour, comme pressé lui aussi de reprendre la route. A bientôt alors !