125. Vacances à Dubrovnik

Nous mettons en pause notre vie nomade une dizaine de jours pour visiter en famille la « Perle de l’Adriatique ». Tiendra-t-elle toutes ses promesses ?

L’arrivée avec Roberto sur la route en corniche est déjà très spectaculaire. Le bleu de la mer. L’éclairage du soir sur la citadelle et ses toits rouge brique d’une belle homogénéité. C’est magnifique. La contrepartie, c’est que la circulation dans la ville à flanc de montagne est compliquée : les rues ne sont pas très larges, la plupart du temps à sens unique et obligeant à de longs détours pour passer simplement dans la rue du dessus ou du dessous. Côté stationnement, c’est mission quasi impossible. Notre location prévoyait une place de parking, mais l’entrée s’avère trop basse pour Roberto. La plupart des parkings du quartier sont réservés aux locaux et ceux plus éloignés sont à 6 € de l’heure. Je vous laisse calculer le prix pour 10 jours… La solution va être de laisser notre véhicule au parking longue durée de l’aéroport, pour 6 € par jour, c’est plus raisonnable. De toutes façons, Dubrovnik se visite à pied, éventuellement en transports en commun pour les sites non proches du centre.


On retrouve dans la citadelle les ruelles pavées de marbre et les escaliers raides de nos villes côtières croates. Au début c’est un peu labyrinthique, mais après quelques jours les repères sont vite pris. Les bâtiments en pierre claire de style baroque sont harmonieux. On se plait à parcourir les remparts pour mieux apprécier la ville dans son ensemble, à grimper sur les tours de ses forts pour voir encore plus loin. Et puis à fouiner dans les secteurs les plus éloignés du Stradun, l’artère centrale bordée de boutiques et de restaurants, pour échapper à la foule. Car le problème majeur de Dubrovnik, qui ne semble pas gêner tant que ça les visiteurs qui se pressent de plus en plus nombreux chaque année, c’est bien la sur-fréquentation. Et encore, nous n’étions qu’en mai ! Personnellement, ça me gâche le plaisir que de jouer des coudes pour avancer dans la rue, que de devoir attendre que les gens aient fini de se prendre en selfie pour voir un monument ou un paysage. Je deviens franchement agoraphobe, ou alors sauvage, je ne sais pas. C’est peut-être la rançon de notre vie nomade où nous voyageons hors saisons la plupart du temps.


Le résultat reste largement positif, heureusement. Parmi nos belles découvertes, j’ai aimé :

L’ascension en téléphérique jusqu’au mont Srd (une petite voyelle ferait du bien, non ?) qui domine la ville et permet de la contempler de haut et de voir toutes les îles au loin. La Croatie en compterait plus de mille. Les plus curieux pousseront la porte du Musée de la guerre intérieure, pas très didactique mais qui expose beaucoup de photos sur Dubrovnik pendant la guerre des Balkans au début des années 1990. La ville a même été assiégée et a souffert de nombreuses dégradations.


L’excursion sur l’île de Lokrum, à 15 mn du port seulement mais un vrai havre de paix par rapport à la ville. C’est une réserve naturelle avec ses sentiers de randonnée, son fort construit par Napoléon, ses constructions anciennes parsemées ça et là et ses paons qui se baladent partout.


La visite de Cavtat, une charmante cité balnéaire à 30mn de bus de Dubrovnik, à l’ambiance plus relaxante que cette dernière, avec des restaurants bien plus abordables, de jolis bâtiments, la maison natale du peintre Vlaho Bukovac, très célèbre en Croatie et qui nous a permis de découvrir son œuvre.


La croisière aux Îles Élaphites. Nous embarquons sur le Karaka, une réplique des caraques du Moyen-âge. Les chantiers navals de Dubrovnik en fabriquaient pas mal à cette époque. Des navires en bois dont la coque ronde est surmontée de châteaux à l’avant et à l’arrière pour augmenter leur capacité – au détriment de la stabilité. Les 3 îles Élaphites forment un petit archipel à environ une heure de navigation de Dubrovnik. La visite de chacune est libre ou guidée au choix. Nous avons choisi la seconde solution, plus conviviale et plus instructive, d’autant plus que nous étions en petit groupe. Nous apprenons que ces îles étaient encore inhabitées – sinon par les cerfs qui leur ont donné leur nom – dans les années 1990 au moment du siège de Dubrovnik par l’armée yougoslave, qui ne voulait pas de l’indépendance de la Croatie. Elles ont du coup servi de base de ravitaillement pour les alliés qui soutenaient la ville et l’approvisionnaient à l’aide de chaloupes rapides. Aujourd’hui elles ont une petite population permanente qui vit de façon assez rustique en hiver lorsque les touristes n’y viennent plus et que les ferries dépendent des caprices de la météo.


Me balader de bonne heure dans la ville avant l’arrivée des hordes de touristes (à partir de 9h30 – 10h). Ci-dessous quelques photos en vrac de ces découvertes matinales.


Et évidemment profiter de ma petite famille, que je préfère garder hors de ce blog. Mais ça a été un grand moment !


Quelques regrets ?


Voilà, avec ce séjour à Dubrovnik se termine la dernière phase de notre parcours en Croatie. Nous récupérons Roberto à l’aéroport et filons tout droit vers le Monténégro. Nous vous retrouvons là-bas très bientôt.

122. Bosnie-Herzégovine

Ce pays des Balkans a été vraiment une bonne surprise pour nous. Alliant une histoire passionnante, des équilibres encore instables, une relation saine avec les touristes, une excellente tolérance des véhicules nomades et surtout de magnifiques paysages, la Bosnie-Herzégovine nous aura conquis.

Triple sortie de zone

Pour la première fois depuis le début de l’année, nous quittons l’Union Européenne, avec en corollaire la zone Euro et au final notre zone de confort. Le passage de frontière n’aura pris que quelques minutes au lieu d’une fraction de seconde et il aura fallu montrer notre carte d’identité, mais rien de bien méchant. Le changement de devise, nous l’avons déjà vécu en Hongrie. Nous ne faisons pas vraiment de change mais retirons directement en monnaie locale avec nos cartes bancaires, dont nous nous servons aussi pour régler les dépenses dès que c’est possible. Le seul vrai inconfort est d’avoir à convertir les prix affichés, mais la Bosnie est gentille avec nous puisqu’il suffit de diviser par deux. La devise locale est le mark convertible, KM en bosnien, ce qui prête à sourire dans les vitrines des marchands de chaussures (seraient-elles garanties en kilomètres) ou des agences de voyages (28 000 km pour une semaine au soleil, ça fait quand même une grande distance à parcourir journellement !). Le plus problématique est que la Bosnie n’est pas couverte par notre forfait téléphonique, Free, que nous nous empressons de désactiver afin de ne pas voir notre facture décoller. Habitués de la chose en Amérique, nous allons chez un opérateur téléphonique local acheter une carte SIM et un forfait de données pour les 3 semaines que nous prévoyons sur place.


Un alignement étrange

Notre premier stop dans le pays se fait au pied d’une colline hérissée de structures étranges, qu’on pourrait croire monolithiques de loin, mais qui apparaissent plus nettement constituées de blocs empilés lorsqu’on s’approche. La partie supérieure aurait une tête humaine, les blocs sous-jacents comportent des motifs gravés ressemblant parfois à des calandres de voitures ou parfois à autre chose. L’ensemble représenterait des femmes en deuil. Une quinzaine de statues que l’on pourrait imaginer être la fusion des moaï de l’île de Pâques, des mégalithes de Stonehenge et des colonnes de voitures compressées de César.

En réalité, il s’agit d’un monument yougoslave dédié aux victimes du fascisme, 12000 Serbes et Juifs exécutés par les forces fascistes pendant la 2ème Guerre Mondiale. La Yougoslavie a érigé ce mémorial en 1981 et l’a probablement entretenu jusqu’à son éclatement au début des années 90. Depuis, la Bosnie devenue indépendante ne semble plus guère s’en préoccuper


Bosnien ou Bosniaque ?

Cerner les différents peuples et régions de Bosnie-Herzégovine n’est pas une mince affaire. Historiquement, la Bosnie est apparue en 1154 comme une région de Hongrie. Elle en est devenue indépendante en 1377, formant alors le royaume de Bosnie, et annexant peu après la région voisine d’Herzégovine. Mais le petit royaume, alors peuplé de Slaves de religion chrétienne, a été envahi et annexé par l’Empire Ottoman en 1463, pour environ 4 siècles au cours desquels la moitié de la population a été convertie à l’islam. Le pays fut ensuite repris par l’Empire Austro-Hongrois, qui tenta sans succès un retour à la chrétienté. Après la guerre de 14-18, la Bosnie libérée intègre pour se protéger le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, puis la Yougoslavie un peu plus tard. Cette unité n’était qu’une façade et chacun des états reprit peu à peu son indépendance dans les années 90. Mais, même à l’intérieur de la Bosnie, l’unité reste une façade.

Aujourd’hui, tous les habitants de la République fédérale de Bosnie-Herzégovine sont des Bosniens. En matière de religion, 51% sont musulmans et appelés Bosniaques, 10% sont catholiques romains et appelés Bosno-Croates, 35% sont catholiques orthodoxes et dénommés Bosno-Serbes. Le pays est divisé en 3 régions autonomes : la Fédération de Bosnie, peuplée majoritairement de Bosniaques et Bosno-Croates, la République Serbe de Bosnie, peuplée majoritairement de Bosno-Serbes, et une toute petite région revendiquée par les 2 autres et pour le coup gérée par l’ONU. Tous ont des aspirations différentes. Les Bosno-Croates aimeraient bien réintégrer, avec un bout de terrain bien sûr, la Croatie voisine. Les Bosno-Serbes souhaiteraient de la même façon être annexés à la Serbie voisine. Tandis que les Bosniaques n’ayant pas de patrie à laquelle se raccrocher tiennent farouchement à l’intégrité de leur pays.

Compliqué, non ? En tout cas, partout dans le pays on trouve églises catholiques et orthodoxes, mosquées, synagogues et cimetières ad hoc. Et les différents drapeaux qui vont avec ces fédérations autonomes. Autonomes pour combien de temps ?


Re-chutes

A peine débarqués en Bosnie que nous retrouvons un parc naturel, celui de Una, agrémenté de belles cascades. Nous sommes d’abord allés voir la plus grande, magnifique, avant de traverser un joli petit village où l’eau coule presque partout. On n’a pas l’impression que la planète manque d’eau ici. Une première approche de la nature en Bosnie, belle et sauvage, et qui sera le point dominant de notre visite du pays.

Et l’arrière-pays est juste magnifique. Admirez le décor grandiose dans lequel nous avons passé la nuit !


Banja Luka

Nous sommes ici à Banja Luka, la capitale de la République Serbe de Bosnie, autant dire le bastion nationaliste bosno-serbe. Le drapeau officiel de la Bosnie est ici remplacé par celui de la Serbie voisine. La région est suffisamment autonome pour avoir un président, un palais de la république (sa résidence) et un parlement, tous dans le style massif des pays de l’Est. Les dômes dorés de la cathédrale St Sauveur rappellent que la religion dominante est ici l’orthodoxie, tandis que la structure béton de l’église Bonaventure est, selon notre guide, de style « socialiste ».

On retrouve ce style dans les bâtiments du centre-ville, tous reconstruits pendant la période yougoslave après un séisme dont Banja Luka était l’épicentre en 1969. L’ « horloge tordue » de la place principale, affichant l’heure précise sur ses 3 cadrans, en est le mémorial.



Moulins des lacs de la Pliva

La Pliva est une rivière tumultueuse au fond d’un canyon qui a tendance lorsqu’on ne la dompte pas à creuser un peu trop le fond de son lit. Un peu en aval de la ville de Jajce, où la rivière fait une jolie chute d’ailleurs (dernière photo). Un ingénieur nommé Éric* assagit un jour la Pliva en la transformant en 2 grands lacs artificiels afin de permettre aux riverains de ne plus risquer leur vie sur leur pédalo (quelle grandeur d’âme, Éric !) tout en leur fournissant de l’électricité (la fée correspondante ayant ici été rebaptisée Éric pour des raisons évidentes). Éparpillés sur la région qui allait être inondée, 25 moulins ottomans tout en bois ont échappé de justesse à la noyade en étant regroupés juste devant l’endroit où nous avons garé Roberto pour la nuit. Nous avons eu de a chance qu’ils ne les aient pas placés 500 mètres plus loin ! Trêve de plaisanterie, ça fait un joli ensemble et c’était très agréable de les entendre et de les voir tous mouliner en même temps.

*Le prénom a été modifié, mais pas pour cause de préservation de l’anonymat


Le gourou de la vente pyramidale

A l’approche de Sarajevo, nous faisons halte pour la nuit dans la petite ville de Visoko, où notre guide papier, le Petit Futé, recommande de visiter une mosquée. Notre parking sera tout à fait par hasard celui d’une attraction touristique appelée Parc Ravne 2. Renseignements pris, nous serions sur le site des Pyramides de Bosnie, plus grandes et plus anciennes que celles d’Égypte. Quoi ? Et le Petit Futé n’en parle même pas ??

Le site Internet de Ravne 2 nous apprend que le maire de Visoko a sollicité l’avis du Dr Sam Osmanagic sur les collines un peu pointues connues depuis toujours dans sa région. Ce dernier a révélé au maire et et aux habitants médusés qu’ils dormaient sur un véritable trésor : des pyramides construites de la main de l’homme 10 000 ans auparavant, avec même des galeries et des chambres secrètes !

Malheureusement, la communauté scientifique ne partage pas son enthousiasme. Il y a 10 000 ans, la région était couverte d’une épaisse couche de glace et les humains d’alors auraient eu beaucoup de mal à ériger ces gigantesques pyramides avec le seul silex de leur hache. Les galeries ne seraient par ailleurs que celles de vieilles mines du XIXème siècle…

Mais notre homme ne se démonte pas. Il se déguise à la fois en archéologue (le chapeau d’Indiana Jones suffit) et en gourou (le baratin pseudoscientifique suffit), achète 15 parcelles de terre autour de l’une des galeries et monte de toutes pièces un parc d’attraction. Pas de montagnes russes ici, cela aurait prêté à rire dans ce contexte pyramidal, mais une exploitation à fond des propriétés miraculeuses soudainement découvertes des ondes positives émises par les « pyramides » et des ions négatifs émis dans les tunnels. Tout est bon dans le jambon. Et évidemment, dans un monde où l’on demande au médecin de famille de descendre la poubelle après sa visite, ça marche !


Sarajevo

On ne visite pas la capitale de la Bosnie comme n’importe quelle capitale européenne (qu’elle n’est pas encore). La ville a un lourd passé historique, subissant envahisseurs et guerres à répétition, ce qui laisse peu de place aux monuments anciens. Tout est en perpétuel recommencement ici et l’incertitude demeure sur la stabilité du pays, sans que l’on se sente en danger pour autant. Impossible de tout raconter sur ce blog, alors limitons-nous aux quelques points qui nous ont le plus marqués.

Mais tout ceci n’est qu’une façade…

1. C’est ici qu’un étudiant a déclenché à lui tout seul la première guerre mondiale

C’est à Sarajevo, le 28 juin 1914, que le prince héritier de l’Empire Austro-Hongrois, François-Ferdinand de Habsbourg et son épouse, au cours d’une visite de la Bosnie, sont assassinés par un nationaliste serbe Gavrilo Princip. L’Autriche déclare la guerre à la Serbie. Par le jeu des soutiens respectifs, La Grande Bretagne qui soutient la France qui soutient la Russie qui soutient la Serbie vont entrer en guerre contre l’Allemagne qui soutient l’Autriche qui soutient la Bosnie. Merci Gavrilo !

Y a pas de quoi répondent les nationalistes Serbes qui lui ont érigé une statue à l’occasion du centenaire de ce qui est pour eux un heureux évènement.

2. Sarajevo a connu une période suffisamment stable pour accueillir les J.O.

Après deux guerres mondiales et l’intégration de la Bosnie au sein de la Yougoslavie, Sarajevo a su démontrer suffisamment de stabilité pour pouvoir accueillir en 1984 les Jeux Olympiques d’hiver. Elle était tout de même  en concurrence avec Göteborg et Sapporo. La ville bosnienne a eu l’avantage d’un excellent regroupement des sites, tous à moins de 25 km de son centre. J’ajouterais personnellement l’avantage d’un trajet plus court pour les athlètes qui ont transporté la flamme depuis Olympe. C’était la première tenue de JO dans un pays communiste, et ce sont d’ailleurs l’Allemagne de l’Est et la Russie, dopées (entre autres ?) à cette doctrine, qui ont raflé le plus grand nombre de médailles. Le retentissement économique positif habituellement observé après un tel évènement n’a été que de courte durée puisque beaucoup d’infrastructures ont été détruites lors de la guerre de Yougoslavie 8 ans plus tard.

3. Huit ans après, elle a connu le siège le plus long d’Europe

Difficile d’imaginer, en croisant les gens dans les rues de cette ville, que tous les plus de 30 ans y ont vécu enfermés dans des conditions de guerre pendant les 4 années qu’a duré le siège. Imaginez-vous ce 6 avril 1992 dans une maison moderne de Sarajevo, la capitale de la Bosnie. Vous envoyez vos SMS tout en regardant l’écran de votre home cinéma diffuser le message qu’enfin votre pays est reconnu indépendant par l’ONU après 6 siècles d’appartenance à d’autres pays. Vous seriez prêt à faire la fête mais vous savez que cette décision n’est pas du goût de l’armée Serbe qui voit son idéal yougoslave s’effondrer et qui combat sévèrement tous les pays qui cherchent à s’en détacher. Et effectivement, alors que la population est dans la rue pour se réjouir, les premiers coups de feu serbes éclatent sur la foule. Une étudiante est tuée par un sniper. La ville est assiégée.

Sans savoir combien de temps cela va durer, tout le monde s’organise. Un grand nombre de gens arrivent à s’échapper. D’autres arrivent de la campagne pour mieux se protéger en ville. Au total environ 400 000 personnes sont assiégées. Les vivres s’épuisent rapidement, le téléphone, l’électricité et le gaz sont coupés. Il faut se débrouiller. Les tirs de munitions éclatent à tout moment. On doit courir pour traverser les rues. Les premières aides humanitaires n’arriveront que 3 mois plus tard, redonnant l’espoir d’une issue rapide, mais personne n’imaginait que cela durerait 4 ans et que 12 000 habitants y perdraient la vie.

Un petit musée aménagé par une famille qui a vécu le siège montre toute une collection de documents, de photos, et surtout d’objets datant de cette époque. L’incroyable système D imaginé par les habitants pour recueillir et transporter l’eau, alimenter le radiocassette avec une dynamo sur une route de vélo, se vêtir pour se protéger des hivers très froids quand tout chauffage est coupé, etc. On imagine mal que tout ça c’était quasiment hier, et que compte-tenu des tensions internationales cela pourrait bien se reproduire à tout instant.

Même si Sarajevo s’est beaucoup reconstruite en 30 ans, de nombreux immeubles gardent encore, quand ils ne sont pas totalement effondrés, les traces des projectiles reçus. Sur les trottoirs ou dans les parcs, on conserve même volontairement en les remplissant d’une résine rouge les empreintes laissées par les obus touchant le sol, formant ce qu’on appelle les « roses de Sarajevo ». Outre des monuments en mémoire des personnes décédées, quelques œuvres originales attirent l’attention, comme cette grosse boîte de conserve destinée à se souvenir de l’occasionnelle médiocrité de l’aide humanitaire reçue. Les assiégés gardent en effet un très mauvais souvenir de ces boîtes de corned beef de marque ICAR larguées par les Américains, dont certaines étaient périmées de 20 ans, datant de la guerre du Vietnam, tandis que d’autres contenaient du porc, inadapté à une population pour moitié musulmane. Le goût était tel que même les animaux n’en voulaient pas !


Pause florale


Srebrenica

En pleine guerre de Bosnie, le 11 juillet 1995, les forces serbes ont attaqué la ville de Srebrenica, une enclave bosniaque donc à majorité musulmane au sein d’une grande région serbe plutôt catholique orthodoxe, et qui avait été placée pour cela sous la protection des casques bleus de l’ONU.

La ville est vidée de sa population. 30 000 femmes, enfants et personnes âgées sont transportés au QG de l’ONU à 5 km de là, tandis que les hommes et garçons de plus de 16 ans sont rassemblés dans plusieurs lieux alentour pour y être exécutés. 10 à 15 000 tentent de fuir par la forêt, mais beaucoup seront rattrapés et massacrés dans les mois qui suivront.

Au total, plus de 8000 bosniaques musulmans périront dans ce véritable génocide. Les responsables seront jugés par la Cour internationale de Justice. Le principal dirigeant, Ratko Mladic, sera condamné à la prison à perpétuité. L’ONU sera fortement critiquées pour son incapacité à protéger la population civile et la FORPRONU sera enfin armée.

Nous avons pu visiter l’exposition installée sobrement dans les locaux mêmes de l’ONU. Elle est d’autant plus émouvante qu’elle est centrée sur le témoignage des survivants. Nous nous sommes rendus au cimetière, dont l’alignement parfait des tombes ne doit pas faire oublier qu’il s’agit de victimes civiles et non pas de soldats. 6 700 xxx sont aujourd’hui dressés. Le nombre augmente chaque année au fur et à  mesure de la découverte de nouveaux charniers.

Pour en savoir davantage : https://www.irmct.org/specials/srebrenica/timeline/fr/story


Srebrenik vs Srebrenica

Le seul point commun de Srebrenik avec la ville martyre qui vient d’être évoquée, c’est le préfixe qui signifie « argent », ces 2 cités ayant un passé minier. On visite Srebrenik essentiellement pour son joli petit château fort, perché sur un rocher, ayant eu l’honneur de voir naître le 1er roi de Bosnie au XVIè siècle. La vue sur la campagne environnante est splendide.


Le train sifflera zéro fois

Notre guide papier affirmait que les voies ferrées de Banovici et leur étonnant écartement de 76 cm (1,43 m habituellement) voyaient circuler les derniers trains de marchandises à vapeur en Europe, et qu’accessoirement ces locomotives d’un autre âge pouvaient tracter quelques wagons touristiques le week-end. Que nenni !Stationnés près de la voie nous avons effectivement vu, entendu et ressenti passer une dizaine de trains chargés de lignite, mais tous à traction diesel. Cela dit, le progrès est encore relatif : le passage à niveau du centre-ville, démuni de barrières, est encore gardé par un humain, petit drapeau rouge à la main.


Comme au bon vieux temps

Les souvenirs de la période ottomane ont tendance à disparaître rapidement dans ce pays aux conflits ethniques très présents. Alors quelques efforts sont nécessaires pour les préserver. Ici, à Mačkovac, près de Tuzla, c’est tout un village bosniaque qui a été reconstitué, afin de montrer à quoi ressemblait l’architecture et la vie quotidienne au XIXè et XXè siècle. Cette concentration de maisons et d’objets traditionnels est particulièrement bien mise en valeur et l’immersion est totale.

Cerise sur le gâteau, si l’on peut dire, l’entrée est gratuite. Le modèle économique repose sur la fréquentation du restaurant intégré au village et tout aussi joliment décoré. Et noix dans le gâteau, si l’on peut dire, nous y avons dégusté de succulents baklavas autour d’un café traditionnel bosniaque (le service en métal martelé, la petite cafetière individuelle et le loukoum qui va bien pour respecter le rituel)

S’il vous prend d’y aller un jour, ça s’appelle Etno avlija Mačkovac


Le bunker de Tito

Nous avons peu parlé du Maréchal Tito, le « dictateur bienveillant », qui a eu le mérite de tenir la Yougoslavie pendant le temps de sa présidence. La preuve en est qu’à sa mort tout est « parti en couilles » si je puis me permettre. Tito, craignant les représailles de l’URSS au moment de la fondation de la Yougoslavie, a fait bâtir en secret un immense abri-antiatomique caché derrière une maison à flanc de montagne. Les chiffres impressionnent : 26 ans de travaux, 30 000 ouvriers à qui on bandait les yeux lorsqu’ils venaient et repartaient du travail, 6500 m² creusés 300 m sous terre, 100 chambres ou dortoirs, et l’équivalent de 20 milliards d’euros actuels dépensés. La visite, obligatoirement guidée, permet d’apprécier l’énorme travail qui a été accompli. Tout était si bien conçu qu’on regretterait presque qu’aucune attaque nucléaire n’ait déclenché sa mise en opération. On dit même que Tito n’y aurait jamais mis les pieds, un comble !


La bataille de la Neretva

Nous allons suivre pendant plusieurs dizaines de kilomètres cette rivière dont les rapides sont propices au rafting. A Jablanica, le pont qui traverse le cours d’eau a connu le sort particulier d’être détruit 3 fois : une fois par ruse lors de la bataille de la Neretva en 1943, une fois par bombardement et une fois pour les besoins du film relatant la bataille en 1969. Attaqués par les nationalistes croates soutenus par Hitler, les communistes yougoslaves firent sauter le pont pour faire croire à leurs poursuivants qu’ils franchiraient la rivière plus loin. Mais le minage astucieux permit une reconstruction sommaire suffisante pour la traversée et donc leur salut. Le pont fut reconstruit pour les besoins du film yougoslave « La bataille de la Neretva », avec pour acteurs principaux Yul Brynner et Orson Welles. S’il fut effectivement dynamité, les images montrées dans le film – que nous avons vu à cette occasion – sont celles d’une maquette, l’explosion du vrai pont ayant dégagé trop de poussières pour permettre le tournage. Le pont est resté dans son jus, ce qui est le cas de le dire puisqu’une de ses extrémités trempe dans la rivière.


Aaah Doub Doub Doub Doub


Gastronomie

La cuisine bosnienne est un joyeux mélange d’emprunts faits à ses voisins ou occupants d’un temps, croates austro-hongrois mais surtout ottomans : 4 siècles d’occupation ça marque ! Nous n’avons pas trouvé cela spécialement raffiné mais les portions sont généreuses et les prix sont doux. Les spécialités les plus communes sont les cevapi, petits rouleaux de viande un peu spongieuse insérés dans un pain plat, les burek, mélange de viande hachée enveloppé dans de la pâte et enroulé pour former une spirale. Un fromage ou un yaourt crémeux sont souvent servis avec ces deux plats, en plus de quelques crudités. Côté desserts, le baklava fourré aux noix est un must, mais on peut trouver plein d’autres pâtisseries orientales. Les vins de Bosnie sont de qualité variable et pas toujours prévisible. Nous avons goûté aussi à plusieurs bières locales. Il est impensable de visiter le pays sans tester (et généralement approuver) le café bosniaque et le rite de consommation qui va avec. Les adeptes du pousse-café trouveront leur bonheur dans la rakija, l’alcool de fruits local.


Grandes étendues

Nous dirigeant vers l’Ouest du pays, nous traversons d’immenses étendues calcaires, arides et sèches en surface mais abritant de nombreuses grottes qui parfois s’effondrent en formant des « dolines », sortes de cuvettes bien circulaires de quelques mètres à quelques centaines de mètres de diamètre. Ailleurs, l’eau souterraine resurgit, alimentant des rivières et des lacs. Ces derniers sont aussi parfois créés par des barrages. Nous passerons de magnifiques et paisibles nuits en pleine nature, la Bosnie semblant tolérante en la matière, enfin du moment où nous respectons les lieux. Nous sommes proches ici du littoral croate et la végétation méditerranéenne tout comme les édifices religieux catholiques sont plus présents qu’ailleurs. Entre les étendues quasi-désertes et les petites villes de cette région la moins peuplée de Bosnie, voici quelques uns de nos points de passage :

* Le lac de Jablanica

Nous avons longé pendant un moment ce long lac de barrages (il y en a 4 sur son trajet) de couleur émeraude, et nous avons même fait une étape pour la nuit sur l’une de ses petites plages tranquilles.


* Un point d’eau sur la route…


* Le monastère franciscain du lac de Ramsko

Initialement bâti sur une colline, il a échappé de peu à l’engloutissement lors de la mise en eau de ce lac de barrage. Une mosquée voisine a eu moins de chance : seul son minaret dépasse encore parfois de la surface de l’eau en été.


* Le polje de Livno, sans les chevaux sauvages

Voici l’une de ces trois zones karstiques de la région appelée d’ailleurs Tropolje (= 3 polje ou 3 zones calcaires), des étendues désertes à la végétation rase, entourées des massifs montagneux, dans lesquelles vivent parait-il des hordes de chevaux sauvages. Malgré la sortie du drone et des jumelles, nous n’aurons pas le bonheur d’en apercevoir. Mais rien que le paysage valait le déplacement, et quelle nuit !


* La petite ville de Livno

Réputée pour son décor de falaises, son monastère, son éco-archéo-musée, sa vieille mosquée en pierre et surtout ses fromages proches du gruyère,


* Le lac de Busko

Nous avons dormi sur une de ses plages, profitant de sa quiétude en basse saison alors que ce lac attirerait les foules en été.

C’est de là que nous allons regagner la Croatie, quittée il y 3 bonnes semaines. Mais la Bosnie aura sa revanche, car il nous en reste encore un bout à parcourir. A bientôt pour les retrouvailles