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  • 157. La route 40

    157. La route 40

    La route 40, au kilomètre 1960. Le kilomètre zéro est tout au sud, au Cap Virgenes
    La route 40, au kilomètre 1960. Le kilomètre zéro est tout au sud, au Cap Virgenes

    Avec ses 5000 km, c’est la plus longue et la plus célèbre route d’Argentine. Un symbole, même. Elle longe la Cordillère des Andes du sud de la Patagonie jusqu’à la Bolivie tout au nord, traversant des paysages extraordinaires et variés. C’est le trajet privilégié des road-trippeurs de la panaméricaine, ceux qui vont d’Anchorage en Alaska à Ushuaia, mais pour notre part nous n’avons emprunté jusqu’ici que quelques tronçons, itinérant davantage en zigzags qu’en lignes droites. La partie incluse dans cet article part de la Rinconada, un peu avant Junin de los Andes, jusqu’à Tecka, avant de retraverser vers l’Est, fait tout de même 552 km. Par chance, c’est une partie asphaltée (50% de la route 40 ne l’est pas…), même si les nids-de-poule sont nombreux. A noter que c’est seulement depuis 2004 que le kilomètre zéro est au sud. C’est assez pratique pour nous : les bornes kilométriques nous donnent une idée de ce qu’il nous reste à parcourir jusqu’à Ushuaia, même si la route 40 n’y passe pas. Depuis notre photo du kilomètre 4040 dans le nord de l’Argentine, nous nous sommes un peu rapprochés !

    Parcours correspondant à cet article
    Le parcours correspondant à cet article, en version zoomable ici

    A la trace

    Commençons par El Chocon, une petite ville au bord d’un grand lac de barrage, où suite à la découverte par des promeneurs de restes fossiles confirmés appartenir à des dinosaures, une activité de recherche paléontologique a débuté en 1980. Couronnée de succès 13 ans plus tard puisqu’un squelette de Giganotosaurus carolinii, un dinosaure théropode carnivore de 14 m de long, daté de 100 millions d’années, a été découvert. D’une morphologie proche du T. rex mais plus grand que lui. Comme souvent en pareil cas, un musée a été érigé à l’occasion, intégrant un laboratoire de recherche pour les pros et une réplique grandeur nature pour le public. Mais l’exceptionnel se situe à quelques kilomètres de là, sur les rives du lac. Nous découvrons pour la première fois de notre vie des empreintes d’iguanodons, vous savez, ces paisibles dinosaures herbivores au long cou qui jouent le rôle des gentils dans le film ou le livre « Le Monde Perdu ». Il y a 100 à 120 millions d’années, ils ont marché sur un sol un peu mou qui s’est rapidement recouverts de sédiments protégeant les traces jusqu’à ce que l’érosion des sols ne les redécouvre que maintenant. Ce sont plusieurs séries de pas bien visibles sur une des rives du lac, protégées par un enclos et des passerelles d’observation. Merci aux « empreintologues » préhistoriques qui ont su déterminer de quelles bêtes il s’agissait.


    Dans la ville suivante, Junin de los Andes, c’est une toute autre trace que nous allons suivre : des motifs des indiens Mapuches incrustés sur les marches d’un chemin très particulier. Un chemin de croix en vérité, dont parlait vaguement notre guide, appelé Via Christi, et que nous avions décidé de gravir plutôt pour nous dégourdir les jambes et avoir un joli panorama sur la ville. Mais nous tombons par hasard sur une œuvre exceptionnelle, le fruit de 7 décennies de travail à l’initiative d’un sculpteur local, Alejandro Santana. Une première ascension d’1h30 permet de parcourir les 23 stations de ce chemin de croix avec 55 œuvres d’art retraçant les moments clés de la vie de Jésus Christ, mais aussi des éléments de la culture Mapuche, de l’histoire locale et même mondiale. Les visages des personnages ont des traits hispaniques, mapuches et métissés, tandis que certaines stations intègrent des figures historiques comme Gandhi, Martin Luther King, Mère Teresa. L’objectif, comme le dit le site, est de « créer un dialogue entre la tradition chrétienne et la cosmovision mapuche, offrant une relecture interculturelle de la vie du Christ ». Tout est dit ? Non ! Le clou du spectacle – si j’ose l’expression dans ce contexte intégrant une crucifixion – est encore à 30 mn d’une grimpette assez raide sur un sentier en zig-zag au-dessus de la station 23. On parvient ainsi jusqu’au sommet de la Montagne de la Croix d’où semble émerger un Christ ressuscité de 57 mètres de haut et 47 mètres de large. Seuls dépassent du sol sa tête, ses mains et ses jambes, en une structure polygonale de métal et de verre. On peut d’ailleurs, à l’instar de la Statue de la Liberté, entrer dans la tête. Et en ressortir par le cou. Aussi inattendu qu’exceptionnel !

    Sur le chemin du retour, deux autres traces viennent compléter cette journée à thème (oui, nous avons vu tout ça dans la même journée !). Je vous laisse lire les légendes.


    Syncrétisme encore

    Toujours à Junin de los Andes, nous passons jeter un œil à une belle église qui nous en fait, éclatante au soleil et encore magnifiée par les superbes araucarias qui l’entourent. Là aussi, manifestement, la religion chrétienne et la culture mapuche sont intimement liées. Le bois omniprésent, les motifs textiles en laine de part et d’autre de la nef, les traits mapuches du Christ ressuscité, les vêtements de style autochtone de la Vierge, l’autel reposant sur 4 pierres, les motifs du carrelage, l’intégration de la pierre sur le bâti et les cènes de la vie quotidienne sur les vitraux en sont autant d’exemples. Cela était sans doute nécessaire à la conversion des autochtones au Christianisme. C’est comme pour la politique, il faut faire de compromis pour avancer !


    La Chamonix argentine

    La ville suivante, San Martin de los Andes, est bien différente. Elle a tout d’une station de sports d’hiver avec ses magasins de sport, ses boutiques de luxe, sa kyrielle de restaurants, ses chocolateries et ses touristes qui déambulent, pas trop nombreux puisque la saison vient de se terminer. Vous l’aurez compris, ce n’est pas le coup de cœur, surtout pour d’anciens résidents haut-savoyards.


    La Route des 7 Lacs

    Nous avions entendu parler (notre guide papier, toujours) de cette Route des 7 Lacs, joignant en 107 km San Martin de los Andes à Villa Angostura, comme d’un parcours paradisiaque : lacs bleus ou verts entourés de montagnes majestueuses habillées de sapins s’y reflétant, silence apaisant, ravitaillement d’empanadas gratuit à chaque étape, etc. Enfin pour le dernier critère, je ne suis plus bien sûr des termes exacts. Mais la météo a décidé de tirer un coup de gomme sur toutes ces promesses. Le ciel, d’un gris uniforme, s’était visiblement donné pour mission d’aplatir toute tentative de relief. Les montagnes avaient décidé de faire grève, se cachant derrière des rideaux de nuages – à défaut de gilets jaunes. Les lacs ? De grandes flaques, oui. Quant aux empanadas… ah c’est vrai je n’étais plus bien sûr…

    Le plus rageant venait des panneaux touristiques montrant devant chaque lac ce que nous aurions pu voir : des montagnes enneigées se reflétant en miroir dans une eau azur, des petites îles au milieu, quelques kayakistes tranquilles. Pour peu, je me serais contenté de vous mettre des photos de ces panneaux… Mais ç’aurait été travestir la réalité d’un voyage qui n’est pas fait que de jours de beau temps. Et puis finalement, je trouve un certain charme à certaines de ces photos. Pas vous ?


    On passe le bac d’abord

    Le soleil finissant par se réveiller, nous faisons un petit détour par le village de Villa Llanquin. Au bord d’une rivière d’un bleu-vert magnifique dont on a vu les méandres un peu plus haut, ce village, situé de l’autre côté du cours d’eau par rapport à la route, a la particularité de se rejoindre uniquement à l’aide d’un bac. Celui-ci, sommaire et gratuit, est mobilisé par 2 hommes et, grâce à un ingénieux système de poulies, par la force du courant. Qui est telle que les passagers doivent descendre et prendre la passerelle piétonne juste à côté, tandis que le conducteur doit lui-même se tenir à côté de son véhicule pendant la traversée, améliorant ainsi sans doute ses chances de survie en cas de chavirage intempestif. Une fois les émotions passées, après avoir visité cette petite bourgade paisible, nous avons passé une nuit super tranquille au bord de la rivière. Avant de retraverser le lendemain !


    San Carlos de Bariloche

    C’est une destination incontournable pour les touristes argentins et, il semble bien, internationaux. Ce serait la « perle de la Patagonie argentine ». On y vient apparemment pour son décor fabuleux fait d’une impressionnante chaîne de montagnes enneigées entourant un immense lac, pour ses randonnées en forêt, pour le ski en hiver, pour les sports nautiques en été, et pour le chocolat artisanal toute l’année.

    Si nous sommes d’accord pour le décor fabuleux, cela ne vaut qu’en dehors de la ville, car malheureusement, l’architecture de cette dernière n’est pas à la hauteur, comme partout en Argentine. On retrouve un assemblage de bâtiments aussi ordinaires qu’hétéroclites et de résidences au style alpin qui ont du mal à trouver leur place dans ce chaos.

    Et, à l’instar des rives du Léman ou du littoral méditerranéen, toute la vue depuis la route qui longe le lac est verrouillée par les résidences privées. Il nous faudra nous éloigner de plusieurs dizaines de kilomètres du centre-ville pour retrouver une nature accueillante et des panoramas fantastiques.


    Sale temps à El Bolsón

    a) Des truites invasives ?

    La région d’El Bolsón, toujours sur la route 40, est connue pour ses fermes d’élevage de truites, ce qui pourrait paraître assez ordinaire dans cette région montagneuse aux eaux vives. Mais vous allez voir qu’il y a aussi un côté polémique à cette activité. Alors qu’il pleut en continu depuis le début de la matinée, nous nous arrêtons pour visiter l’une de ces fermes, Granja Larix. Après tout, la pluie ne doit pas trop gêner les truites, déjà mouillées. Nous en observons un certain nombre, à des âges différents, dans les bassins extérieurs. Les panneaux indiquent que les espèces élevées ici sont des truites arc-en-ciel. Tout en n’indiquant pas, comme j’ai pu le lire sur Internet, que l’espèce n’étant pas native du coin, cela pourrait poser de graves problèmes à la biodiversité locale. On connait l’histoire pour les tortues de Floride importées en Europe. Presque convaincus de l’utilité d’un boycott, nous passons tout de même faire un tour à la boutique. A 7,50 € le filet de truite sous vide, nous avons été totalement convaincus !


    b) El Bolsón n’aime pas les camping-cars

    Toujours sous la pluie, nous faisons une courte pause au centre-ville un peu plus loin. Un peu partout, des panneaux annoncent que les camping-cars et les caravanes ne sont pas les bienvenus. En France c’est assez commun sur le littoral, mais ici ? Nous nous garons tout de même sur le parking devant la mairie et bravons le panneau. Prêts à arguer que nous ne ressemblons en rien au véhicule ou à la remorque dessinés sur le panneau. D’ailleurs, un peu plus loin, nous trouverons un fourgon aménagé argentin garé tout près d’un panneau similaire. De toutes façons, il n’y avait pas grand-chose d’intéressant dans cette ville. À part quelques sculptures colorées dans les arbres morts de la place centrale et une jolie mosaïque devant l’hôpital. Nous avons vite repris la route avant que l’on nous mette une multa. C’est le mot espagnol pour contravention.


    Ça se termine à Tecka

    Ce village de moins de 1000 habitants ne figurait pas, et à juste raison, sur notre guide. Il nous a juste paru opportunément situé pour une halte nocturne avant notre nouvelle traversée d’Ouest en Est de l’Argentine. Tout proche de l’embranchement avec la route 25 qui nous ramènera à la mer, possédant une station-service pour faire le plein avant de traverser un désert de plus de 500 km, il dispose aussi d’un endroit calme et en pleine nature recensé par les utilisateurs de l’application iOverlander pour passer une nuit tranquille. D’après ce que nous pouvons voir autour de nous, ce coin perdu vit surtout de l’agriculture et de l’élevage. J’ai eu l’occasion de parler à la fois avec un habitant qui promenait ses chiens, mais aussi avec un mouton venu expressément à ma rencontre. Pourquoi pas ?


    C’est ainsi que nous quittons la route 40 et les paysages montagneux pour rejoindre la Péninsule de Valdés, un vaste parc naturel où nous nous attendons à voir des baleines, des lions de mer, des pingouins et autres animaux marins. Un joli programme, non ? Rendez-vous au prochain épisode pour vous le raconter !