66. De Québec à Charlevoix

Nous poursuivons notre lente remontée de la rive Nord du fleuve Saint-Laurent et découvrons le cœur de la province du Québec : sa capitale du même nom. Nous traversons ensuite la région de Charlevoix, beaucoup plus sauvage. Voici nos trouvailles, parfois originales, volontiers affublées de titres tarabiscotés comme je les aime.

Indien vaut mieux que deux tu l’auras

Pour la première fois au Québec, les panneaux stop n’affichent plus simplement « arrêt » mais également le mot « steten ». C’est que nous ne sommes plus tout à fait dans la province canadienne mais sur le territoire des Hurons-Wendat, un peuple d’amérindiens qui était là bien avant que Jacques Cartier n’ait fini de téter sa mère. Décimés pas les colonisateurs français puis anglais et toutes les cochonneries qu’ils leurs ont apportés, des fusils à la vérole, ils ont fini par relever la tête et recréer une « nation » avec un drapeau et un « conseil de bande » pour gérer les affaires courantes. Mais les pouvoirs restent très limités et sous la coupe du gouvernement canadien. On est loin de l’indépendance. Nous avons visité l’un de leurs 2 villages, dont les maisons ne se distinguent en rien de celles des quartiers avoisinants. Seules les plaques des rues portant des noms de chefs indiens donnent le change. Le Site traditionnel Huron-Wendat rend tout de même hommage à leur mode de vie antérieur, raconté dans une sorte de musée et mis en scène dans une maison typique reconstituée appelée « maison longue »


Un détroit, soleil !

Le nom de la ville de Québec vient du mot micmac (un peuple amérindien) « Kepe:K » qui signifie « rétrécissement d’un cours d’eau », et qui correspond effectivement à la morphologie du fleuve Saint Laurent en regard de la ville. Notre première approche de la capitale de la province du Québec s’est faite sous une pluie continue et, après avoir parcouru quelques rues et avoir failli noyer nos parapluies, nous avons fini par nous réfugier dans une brasserie puis, une fois restaurés et un brin séchés, dans l’excellent Musée des Civilisations où nous avons passé un bon moment.

Ce n’est que le lendemain, avec le retour du soleil, que nous avons vraiment apprécié la ville. Je parle de la vieille ville, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, parce que le reste est immense. Le Vieux-Québec est disposé sur deux niveaux, que l’on rejoint par des escaliers raides, comme le bien nommé escalier casse-cou, ou par un funiculaire. Sur les hauteurs, l’hôtel-château Frontenac domine la ville dont il est l’emblème. On le découvre aussi bien des terrasses qui le surplombent que de la promenade qui le borde ou encore du traversier qui joint les 2 rives du fleuve. Autour, ce sont d’étroites rues pavées et piétonnes, bordées de bâtiments où la pierre et les couleurs vives des ouvertures dominent tandis que les toits argentés aux reliefs complexes étincèlent sous le soleil. Au fil des carrefours, on découvre de jolies petites places, des églises aux toits verts, de grandes fresques murales, et toutes les boutiques qu’il faut pour capter les touristes finalement au rendez-vous. Après une journée de marche, nous étions contents de nous réfugier dans Roberto, que nous avions garé à deux pas du centre dans un parking au coût modeste (14€/j).


Corned Bear

Non ! Ils ont osé ! fut ma première réflexion en voyant ces conserves de viande d’ours sur les rayonnages de ce magasin. Bon, même si quelques confiseries étaient proposées, l’orientation générale du magasin, qui s’appelait d’ailleurs « Magasin général » – les anciens bazars du pays, vers les objets fantaisistes ou d’antan aurait dû m’orienter. En y regardant de plus près, le contenu n’avait rien à voir avec ces gros nounours que je n’ai aucune envie de consommer, mais consistait en de gentilles et inoffensives peluches. Ouf !


Aller plus haut, toujours plus haut

Difficile de dire si c’est la chanson de Tina Arena qui nous a inspirés ou bien si c’est le simple hasard qui nous a conduits là, toujours est-t-il que moins d’un mois après avoir rendu visite aux chutes du Niagara, nous sommes allés voir les chutes de Montmorency, à 15 km de Québec en longeant le fleuve St Laurent vers l’Est. D’une hauteur de 83 mètres, elles dépassent les précédentes d’une bonne trentaine de mètres. Certes rien d’équivalent en largeur ni en notoriété (Marylin Monroe n’y aurait jamais tourné), mais elles peuvent être traversées à l’aide de passerelles situées juste au-dessus, ce qui est particulièrement impressionnant pour la chute principale appelée le Grand Sault. Les amateurs de sensations fortes, sans doute peu impressionnés par les 487 marches qui mènent au sommet, pourront tenter la tyrolienne ou la via ferrata, en attendant que l’on installe un saut à l’élastique ou, qui sait, une descente en kayak.


Ça m’embauche un coin

Cette annonce géante sur le toit de la gare du téléphérique qui mène aux chutes de Montmorency, comme toutes celles plus petites qui inondent les vitrines des magasins dans les villes, rappelle un problème préoccupant au Québec, et probablement dans tout le Canada : on manque cruellement de main d’œuvre. L’immigration a beau être favorisée par le gouvernement, elle reste assez sélective. Un des moyens de combler le manque est malheureusement d’employer des mineurs. C’est un ami (merci Jean-Marie) qui a attiré mon attention là-dessus, en me communiquant un article de presse …français. Curieusement, il a fallu qu’une parlementaire questionne le ministre des transports à ce sujet pour qu’il soit évoqué dans les médias locaux. Tout aussi curieusement, la loi est très permissive et l’employeur peut se contenter de l’accord des parents pour faire travailler 18h par semaine un enfant de 12 ans ! Et la population suit puisque 51% des mineurs ont une « job », comme ils disent.


L’îlet des nôtres

L’île d’Orléans, située au beau milieu du fleuve Saint-Laurent un peu en aval de Québec, fut l’une des premières régions habitées par des Français en Nouvelle France vers 1650, peut-être séduits par le grand nombre de vignes sauvages qui y poussaient. Cent ans plus tard, alors qu’ils avaient tout défriché et bâti des maisons, les Anglais ont tout incendié et tout pillé, contraignant les habitants à l’exode. Mais ceux-ci sont revenus une fois la situation stabilisée et la Nouvelle France cédée à la Grande Bretagne et leurs descendants sont toujours là sur cette terre devenue canadienne entre-temps. Une œuvre d’art rend hommage à cette population résiliente. Roberto et nous avons fait le tour de cette île de 33 x 8 km en suivant la route Royale, bordée de belles maisons tout du long dont beaucoup, en pierres, ont gardé leur cachet d’origine.


Le plus cher un point c’est tout

Près du village de St Pierre, sur l’Île d’Orléans, au bord de la route, une arche sculptée auréole une statue assise de dos en arrière-plan. Il faut évidemment se garer et s’approcher à pied pour en savoir davantage. Le slogan ci-dessus, malicieusement détourné à partir du vrai slogan d’une chaîne d’hypermarchés français, devrait vous mettre sur la piste.

Vous avez reconnu le chansonnier et poète Félix Leclerc, le résident le plus cher et le plus célèbre de l’île dans laquelle il a vécu 20 ans avant d’y mourir. Cette sculpture géante, faite d’extraits en lettres d’acier de son œuvre, le représente assis dans un champ, poussant sans doute une chansonnette en s’accompagnant à la guitare. Dans le cimetière voisin, il n’est pas trop difficile de retrouver sa tombe : elle est recouverte de chaussures. Il faut connaître son répertoire pour en connaître la raison. Ci-dessous deux liens musicaux en rapport avec le sujet.


SAQ à vin !

Au Canada, la vente d’alcool est strictement encadrée, au point que la plupart des supermarchés n’en vendent pas. Même le vinaigre est difficile à y trouver. Et quand on tombe sur des bouteilles de vin, elles sont dénuées de tout degré alcoolique. Un grand nombre de restaurants ne dispose pas de carte des vins, mais propose en contrepartie d’apporter sa bouteille, achetée dans un lieu autorisé. Au Québec, ces lieux de débauche sont les magasins de la SAQ (Société des Alcools du Québec). L’interdiction de la vente aux mineurs y semble stricte. La SAQ ne disposant que d’un peu plus de 800 points de vente au Québec, une dérogation pour l’interdiction de vente est accordée à bon nombre de « dépanneurs », ces épiceries à horaires étendus et aux boissons faiblement alcoolisées comme le cidre et la bière. Je ne sais pas si c’est grâce à cela ou par simple habitude culturelle que les canadiens consomment moins d’alcool que les français. Pour plus de précisions à ce sujet je vous mets les chiffres OMS 2016 pour ces deux pays et pour les extrêmes

Consommation d’alcool pur en litre/an/habitant de plus de 15 ans :
Hommes          Femmes          Ensemble
Yemen             0,1                   0,0                  0,1
Canada           14,6                  3,4                   8,9
France            20,3                 5,4                   12,6
Moldavie         25,2                 6,1                   15,2


Il a assuré drave !

Nous avons fait la rencontre de Robert, un joyeux octogénaire et ancien draveur. Il ne doit plus rester beaucoup de membres de cette profession qui a pris fin en 1987. Pour ceux qui ne le savent pas, cela consistait, au siècle dernier, à convoyer le long d’une rivière des milliers de troncs d’arbres depuis leur lieu d’abattage dans l’arrière-pays jusqu’aux menuiseries ou usines à papier plusieurs centaines de kilomètres plus bas. Un métier rude et dangereux où l’on se faisait embaucher non pas grâce à un curriculum vitae mais en fonction de la taille de son poignet. La force n’était pas tout car il fallait aussi une bonne dose d’agilité pour se déplacer sur les arbres qui roulent et braver les rapides sans tomber à l’eau, ce qui était souvent dramatique. Robert nous parle de cette époque où il devait passer 6 à 8 mois par an loin de sa famille et vivre dans des conditions rustiques sous des climats extrêmes, tout en travaillant 8 à 10 heures par jour 7 jours sur 7. Mais tout ça sans regret aucun car il parle de son métier avec passion et nous montre tous les outils qu’il utilisait, les vêtements qu’il portait, et d’une manière générale tous les équipements de son « campement ».

Accumulant d’abord tout ce qui a trait à son métier, il s’est découvert une âme de collectionneur et a réuni dans plusieurs pièces d’une grange une si incroyable quantité d’objets anciens que la place commence à lui manquer. Une sorte de caverne d’Ali Baba où chaque objet a son histoire. Ce pourrait être une riche boutique d’antiquités, mais Robert a préféré en faire un modeste musée dont il est l’unique guide et dont le droit d’entrée est libre. Tout à son honneur. Une visite d’exception, authentique comme on les aime, totalement recommandable.


Des plats d’ours bien léchés

Les ours noirs abondent parait-il dans l’arrière-pays canadien, mais les rencontres se font plutôt par hasard. Alors nous avons voulu forcer ce hasard en nous rendant au Domaine de Pic-Bois, spécialisé dans l’observation de ces mammifères. De la cabane d’accueil, après avoir acquitté le droit d’entrée, nous suivons Jean-Claude qui sera notre oursologue du jour et l’un des grands fils des propriétaires du domaine. Après 15 mn de marche sur un chemin large dans la forêt, nous bifurquons sur un sentier plus étroit. Jean-Claude nous fait mettre en file indienne, nous recommande de ne pas laisser entre nous d’espace suffisant pour qu’un ours puisse passer et nous intime de ne pas prendre de photo si l’un d’entre eux se présente. Et nous voilà partis, le grand fils devant nous et lui derrière pour assurer la sécurité. Je pensais, amusé, que c’était une belle mise en scène, mais à peine une minute après le début de notre marche, voilà qu’un ours se présente sur le sentier ! On nous fait signe d’avancer calmement, et l’ours effectivement, impressionné par le nombre, s’éloigne dans la forêt.

Quelques minutes plus tard, nous arrivons à une sorte de mirador où, en sécurité à 3 mètres du sol nous allons pouvoir observer une petite clairière juste devant. Il n’y a pas de secret, pour que les ours soient au rendez-vous, il faut les nourrir un peu. Pas trop pour ne pas les rendre dépendants des humains bien sûr. Jean-Claude nous explique que ce qu’il va servir représente seulement 10% de leur nourriture quotidienne. Puis il part muni de seaux avec son homme de main pour faire un vrai service à table. Un menu 3 plats comportant os de porc, gâteaux broyés et une espèce de pâte semi-liquide ressemblant un peu au Nutella, qu’il va répartir sur les souches d’arbres creusées en soucoupes. Deux jeunes ours qui devaient avoir faim se présentent et s’empressent de lécher la cuiller. C’est d’ailleurs par le « Nutella » qu’ils vont commencer, en léchant la pâte avec délectation. Les gâteaux viendront ensuite et les os en dernier.

Quatre autres ours viendront les rejoindre, puis, grand moment, une mère avec 2 oursons. Jean-Claude, qui nous donne des explications tout du long, nous dit que nous avons beaucoup de chance, d’une part parce que nous ne sommes que tous les deux aujourd’hui (le mirador compte effectivement une vingtaine de places) et surtout parce que c’est la première sortie de l’ourse depuis sa sortie d’hivernage. Nous nous régalons de voir les oursons jouer, grimper très haut aux arbres, s’endormir là-haut sur les branches, puis redescendre quand leur mère les appelle. Difficile de vous résumer cette sortie qui a duré presque 3 heures, temps nécessaire car de petits évènements se produisent tout du long qui permettent d’élargir la discussion. Notre patience a été récompensée car, peu avant notre départ, nous avons pu voir une seconde ourse avec 3 oursons cette fois, pas trop rassurée car elle est repartie assez vite. Quoi qu’il en soit, nous ne serons plus maintenant « l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours » mais les observateurs directs.


Bye bye les ours, nous changeons de calibre et allons voir maintenant à quoi ressemblent les baleines du St Laurent.

A très bientôt !

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