Ce parcours commence par une petite mésaventure liée aux vents violents de la pampa argentine, qui ne nous empêchera heureusement pas de poursuivre notre voyage. Nous découvrirons des mains de 15 000 ans, la silhouette d’une montagne qui a inspiré un logo célèbre, un glacier qui avance alors que tous les autres reculent, un navire civil servant de cible aux avions de chasse et un lac mal nommé.

À ciel ouvert

Le vent est un problème en Patagonie. Ça souffle plus que de raison, presque en permanence, et Roberto est souvent bousculé par les rafales. Aux arrêts, nous devons nous garer précautionneusement face au vent pour en subir le moins d’influence, ou alors à couvert, notamment pour la nuit. Aujourd’hui, nous sommes en vigilance jaune pour vent fort, avec des pointes annoncées à 65 km/h. Après une longue série de lignes droites en plein désert, nous décidons de nous arrêter sur un petit décrochement de la route pour la pause déjeûner. Le vent souffle mais raisonnablement. Des nuages gris sombre approchent néanmoins de nous. Pour avoir un peu d’Internet dans cette zone plus blanche que blanche, je sors l’antenne Starlink sur le toit, par le lanterneau, et referme celui-ci au plus petit cran, pour ne pas avoir de prise au vent. L’antenne elle-même semble assez lourde pour ne pas pouvoir s’envoler. Mais lorsque le nuage est au-dessus de nous, le vent forcit brusquement, s’engouffre par la fine ouverture du lanterneau et libère le cran qui le maintenait en position basse. Nous n’avons rien vu venir. Un grand crac et … plus de lanterneau ! Claudie part à sa recherche et le retrouve 30 mètres plus loin. La paroi interne est partiellement cassée, la charnière aussi, mais l’extérieur semble intact. Ce qui nous permet de nous abriter temporairement de la pluie qui commence à tomber, un malheur ne venant jamais seul. Mais il faut maintenir le lanterneau à la main, ce qui n’est pas une solution pour rouler. Une fois l’averse passée, je prends plus d’une heure pour refaire une fixation temporaire en perçant des petits trous dans la paroi intérieure afin d’y passer une ficelle et solidariser le tout avec le socle du lanterneau. Avec un peu de chance, ça tiendra trois mois, le temps de revenir de notre prochain séjour en France avec la pièce de rechange, introuvable ici. La réparation n’aurait pas été possible, nous aurions du faire fabriquer une couverture provisoire par un artisan local, comme c’est arrivé à d’autres voyageurs que nous avons croisés. D’ici là, le lanterneau est condamné. S’il nous donne encore de la lumière et peut s’occulter la nuit, il ne peut plus s’ouvrir. On fera avec. Ou plutôt sans. Et puis nous avons trouvé une solution pour notre antenne Starlink : à condition de se garer face au Nord, elle fournit un signal tout à fait correct en la plaçant derrière le pare-brise.

Haut les mains
C’est dans les années 1960 qu’ont été découvertes sous des surplombs rocheux granitiques des centaines d’empreintes de mains réalisées il y a 15 000 à 11 500 ans par des tribus nomades de cette région isolée d’Argentine. La technique utilisée aux Cuevas de los Manos, projetant à la bouche ou avec une paille un mélange de pigments minéraux et d’eau sur une main posée sur la paroi, alliée au climat très sec de la région et à son isolement, ont permis une conservation exceptionnelle des œuvres malgré ces millénaires d’exposition au soleil. On retrouve également des scènes de chasse au guanaco, une sorte de lama sauvage, la proie favorite de ces tribus. Enfin quelques rares humains ou animaux stylisés complètent le tableau. Le site en lui-même est d’une grande beauté, avec d’impressionnantes parois rocheuses encadrant une véritable coulée verte au fond d’un canyon où coule la « Rivière Peinte ». Pour ceux qui voudraient faire un parallèle avec nos grottes Chauvet ou de Lascaux, l’art rupestre de ces dernières est encore plus ancien (-15 à -30 000 ans), mais comporte davantage de figures animales qu’humaines. En plus – j’avoue en pas y être allé – je suis à peu près certain qu’il n’y figure aucun guanaco.
Le logo Patagonia en vrai

Nous voici arrivés à El Chaltén, la capitale argentine de la randonnée. Cette petite ville isolée au fond d’une vallée de 90 km de profondeur a tout d’abord été créée pour « occuper le terrain » en raison de la proximité avec la frontière chilienne. Mais, située aux pied d’une splendide chaîne de montagnes dont l’emblématique Mont Fitz Roy, elle a rapidement connu un succès touristique, au point d’accueillir chaque année 40 000 visiteurs alors qu’elle ne compte que 2 500 habitants. Et ce succès a été renforcé par la création par l’alpiniste français Yvon Chouinard de la marque Patagonia dont le logo représente le Fitz Roy. Ne croyez surtout pas d’ailleurs que la firme soit argentine ou chilienne. Elle est tout aussi américaine que Neutrogéna, dont les produits ont pourtant longtemps affiché une formule et un drapeau norvégiens. Sinon une fois là-bas nous avons fait comme tout le monde : de la randonnée. 4 heures de marche jusqu’au Lac Capri, dont le nom avait attiré Claudie mais qui ne s’est pas révélé à la hauteur. Partis sous un grand soleil, nous y sommes arrivés sous des rafales de pluie. Avant de retrouver le soleil à la descente. Il parait que c’est comme ça à El Chalten : on peut avoir les 4 saisons dans une même journée !
Anecdote : Robert Fitz Roy était le capitaine du HMS Beagle lors du célèbre voyage scientifique qui a emmené Charles Darwin autour du monde entre 1831 et 1836. Il était lui-même un scientifique et a participé à cartographier la Patagonie. Pour autant, il n’a jamais vu la montagne qui a été baptisée en son honneur, 12 ans après sa mort, par l’explorateur argentin Francisco (Perito) Moreno. Ce dernier, bien qu’également cartographe renommé de la Patagonie, n’aurait jamais vu le glacier qui a été baptisé en son honneur et de son vivant… Ce qui nous amène au sujet suivant
Le glacier qui continuait de grandir
S’il n’y avait qu’un glacier à voir dans toute sa vie, ce serait le Perito Moreno, affirme le panneau d’informations au Glaciarium, le musée dédié aux glaciers à El Calafate, base logistique de la visite. C’est vrai que nous l’avions sur notre to do list (je préfère cette expression à l’inquiétante « à voir avant de mourir »…). Il a d’abord cette caractéristique exceptionnelle de continuer à grandir, alors que la grande majorité des glaciers de la planète reculent. Il peut avancer jusqu’à 2 mètres par jour lorsqu’il est en pleine forme. Cette avancée finit le plus souvent par l’effondrement spectaculaire de séracs dans la mer, mais parfois le glacier avance jusqu’à toucher la péninsule en face, formant alors un barrage naturel pour les rivières qui l’entourent, avec la montée des eaux qui va avec. Les dimensions nous laissent rêveurs, nous les ex-voisins de la Mer de Glace : 30 km de long, 5 km de large, 60 mètres au-dessus du niveau de l’eau et … encore une centaine de mètres au-dessous ! Nous avons été étonnés par ailleurs par la facilité d’accès : une route bien entretenue mène, en longeant une rivière qui charrie de gros blocs de glace bleutés, à un réseau de passerelles qui permettent d’approcher davantage le glacier que les bateaux qui circulent à distance raisonnable, craignant l’éventuel tsunami déclenché par une chute de sérac. Et de bien entendre les craquements et les chutes de glace qui ponctuent régulièrement le silence du lieu, du moins quand les touristes se comportent respectueusement comme cela a été le cas pendant notre visite.
Le Glaciobar
Au sous-sol de l’intéressant musée de la glace dont on vient de parler se niche un endroit très spécial : le Glaciobar. Dans une véritable chambre froide où l’on accède munis d’une cape à capuche fourrée et de gants, où l’on ne reste pas plus de 20 minutes parce qu’il y fait -18°C se trouve un véritable bar dont l’ensemble du mobilier est en glace véritable, avec un igloo, une sculpture de rapace et tout ce qu’il faut pour servir des cocktails dans des verres … en glace aussi. Pas besoin de glaçons, donc. Certes, le concept n’est pas unique, mais ici, c’est le seul bar de ce type au monde ou la glace provient d’un glacier. Facile, il n’y a pas besoin d’aller chercher très loin !
Ne m’appelez plus jamais Marjory Glenn
Ce navire écossais construit en 1892 était très moderne pour l’époque et pourrait l’être encore aujourd’hui : avec une solide structure en métal, il ne disposait d’aucun moteur et se déplaçait à la voile. Une merveille sur le plan écologique. Paradoxalement, c’est une cargaison de charbon qu’il transportait en 1911 de Newcastle à Rio Gallegos en Argentine. Et c’est cela qui l’a perdu. Le charbon a pris feu, l’incendie n’a pu être maîtrisé et l’équipage a du faire échouer le bateau pas loin du port d’arrivée avant d’être secouru. Rouillant tranquillement sur la plage, le Marjory Glenn a connu un second choc inattendu en 1982 au moment de la guerre des Malouines : il a servi de cible d’entraînement aux avions de chasse de l’armée argentine avant d’aller se confronter aux Anglais. Ses flancs portent encore aujourd’hui les impacts de ces tirs effectués en rase-motte (les avions volaient à 5 mètres au-dessus du niveau de la mer pour échapper aux radars). Une drôle de vie pour ce bateau, ce qui ne nous aura pas empêché de dormir à ses côtés.
Argentine insolite
Je vous livre trois petites vidéos sur des situations insolites rencontrées sur notre parcours. Bon visionnage !
Le lac de couleur
Tout près de la frontière chilienne, une petite route mène à un massif volcanique qui héberge dans son cratère un lac renommé pour sa couleur bleue, à tel point qu’il a été baptisé Lago Azul (lac bleu, donc). Nous nous garons au centre des visiteurs en cours de construction, ce qu’il faut traduire par « bientôt ce sera payant », et empruntons le sentier qui mène à la crête du volcan. La caldera se découvre peu à peu et là, surprise, le lac bleu a disparu ! Enfin à la place c’est un lac d’un beau vert émeraude qui ne reflète ni le ciel, ni les parois basaltiques, ni la végétation rase et plutôt grise du cratère. Bon, j’imagine que c’est le même lac, qu’on n’a quand même pas remplacé toute l’eau juste pour faire une farce. Il est plutôt joli ce lac, mais je m’estime trompé sur la couleur. Et vu que nous n’avons rien payé, je ne peux même pas demander à être remboursé !
Nous déjeunons sur place, histoire de consommer nos derniers aliments frais, car à la frontière chilienne que nous allons franchir tout à l’heure, la viande, les laitages, les fruits et légumes ne sont pas autorisés à l’importation. Et puis nous préparons tous les papiers nécessaires pour l’immigration, la douane, et le bureau de la circulation pour Roberto. Nous vous raconterons ça très bientôt, promis !


































































































































































































































