Notre parcours turc se termine par le Nord-Ouest, où nous allons refranchir la frontière Asie-Europe en traversant le Bosphore. Nous avons gardé la visite d’Istanbul pour la fin, à la fois pour se synchroniser avec l’arrivée de notre amie Françoise qui partagera nos découvertes, mais aussi pour faire un sas de décompression, la ville étant réputée comme la plus européenne des villes de Turquie. Mais n’allons pas trop vite, il nous reste un peu de chemin à parcourir et aussi une petite escapade en France avant d’aller explorer la vie stambouliote.
Izmir ou le début de l’automne
Voilà plusieurs semaines voire plusieurs mois que nous bénéficiions d’un soleil continu, jugé parfois trop généreux même, et le temps grisâtre du jour nous rappelle que les meilleures choses ont une fin, que l’automne se rapproche. Ce qui va d’autant plus s’accélérer que nous avons repris une route globalement nord-ouest pour revenir vers la France en début d’année prochaine. Alors les photos s’en ressentent, le contraste chute, la Mer Méditerranée pourrait être rebaptisée la Mer Noire.
Izmir n’a rien d’exceptionnel, ou alors c’est nous qui commençons à saturer de la Turquie. Le bazar nous semble assez banal, l’architecture aussi. La ville aurait été reconstruite après un gros incendie sur les plans de 2 architectes français, les frères Danger (j’ai d’ailleurs failli intituler ce chapitre « La ville de tous les Danger ») mais la patte francophone n’est pas flagrante. Après une grosse demi-journée sur place, nous filons vers la cité phocéenne turque, Foça.
Foça
Les phoques qui ont donné leur nom à la ville (autrefois Phocée) sont en voie d’extinction, seule l’histoire de cette ville fondée par des Grecs entre le Xe et le VIIIe siècle av. J.-C. persiste. Ce peuple possesseur d’un tout petit territoire a fondé des colonies dans toute la Méditerranée orientale, cherchant à exploiter des richesses naturelles ou stratégiques. C’est ainsi qu’ils ont fondé Marseille en 600 av. J.-C. Le vieux port de Foça a moins de charme que son homologue marseillais, mais la jolie baie et le retour du soleil nous en ont donné une impression agréable.
La presqu’île d’Erdek
Totalement oubliée de notre guide et presque autant des touristes, la presqu’île d’Erdek située au sud de la Mer de Marmara est pourtant un petit joyau. Couverte d’une forêt manifestement recomposée après un incendie (espèces variées alternées régulièrement), elle se parcourt en empruntant une route côtière qui en épouse tous ses contours, découvrant au détour d’un virage de larges baies habitées comme d’intimes petites plages sauvages. C’est sur l’une d’elle que nous passerons la nuit. Et c’est purement par faute de temps que nous n’avons pas pu prolonger l’expérience. En effet, nous avons un avion à prendre à Istanbul dans quelques jours.
Question de culture
Première autoroute
La circulation dans la banlieue d’Istanbul est réputée difficile et c’est peut-être le seul endroit de Turquie où les autoroutes – qui ne sont pas dans nos habitudes, notre GPS étant même réglé pour les éviter – sont particulièrement conseillée. Seulement voilà, on lit partout qu’à de rares exceptions près, aucun poste de péage n’accepte autre chose que le télépéage, et qu’il faut donc se munir d’une carte magnétique rechargeable qui sera débitée à chaque passage. La carte s’achète, ne riez pas, dans les bureaux de poste. Nous tentons notre chance à Bandirma, juste après notre presqu’île de rêve. Nous avons beaucoup de mal à nous faire comprendre de l’employé qui ne parle pas plus Anglais que nous Turc. Heureusement, un jeune guinéen a reconnu notre accent et s’est proposé de nous aider. Nous obtiendrons finalement la précieuse carte, chargée d’environ 20€ (on nous a dit que c’était suffisant pour les 250 km qui nous séparent d’Istanbul) et partons de suite la tester.
Au premier poste de péage, le feu passe au vert : parfait. Au suivant, même succès, l’écran affiche en outre le montant débité (environ 5 €). Nous imaginons que le poste précédent n’était que l’enregistrement du point d’entrée. Nous continuons. Mais au péage suivant, juste avant un grand pont, le feu reste au rouge et la barrière baissée. Nous sommes sur l’une des files les plus à gauche de ce péage qui comporte une dizaine de postes. Ça klaxonne derrière nous. Un employé nous fait comprendre que nous n’avons pas assez sur notre carte, et qu’il nous faut reculer et passer par le poste 1, le plus à droite. Vous imaginez la manœuvre, reculant puis traversant la quasi-totalité des files de voitures se précipitant sur nous, peu fair-play comme la majorité des Turcs d’ailleurs. Nous apprenons que le prix de passage du pont, environ 34 €, est effectivement bien supérieur au solde de notre carte, mais que nous pouvons payer cette somme en espèces comme en carte. Ce qui va nous donner l’occasion de découvrir que dans tous les péages suivants, la file de droite donne cette possibilité. « On » nous a raconté n’importe quoi, comme d’habitude.
À l’approche d’Istanbul
Nous trouvons un bivouac pour la nuit dans un endroit tranquille et nature, à quelques dizaines de kilomètres de l’aéroport Havalimani, l’un des trois d’Istanbul, situé au nord de la ville. Un peu de repos nous fera du bien, car demain, c’est journée administrative : il va nous falloir trouver un parking pour laisser Roberto pendant nos 5 semaines françaises et faire ce qu’il faut pour être en règle avec l’administration douanière. Et ça ne va pas se passer du tout comme prévu !
Interdiction d’abandonner son véhicule de compagnie
(ou le dernier roman de l’été)
Ce n’est pas la première fois que nous nous interrompons temporairement notre voyage pour faire un petit saut familial en France. A chaque fois nous avons pu trouver sans difficulté un lieu sécurisé pour laisser Roberto pendant ce laps de temps. Mais pour Istanbul, ça s’avère un peu plus compliqué. Les quelques parkings que nous avons trouvés ne répondent pas à nos mails. Claudie lance alors un appel sur un groupe Facebook de francophones en Turquie et recueille des avis très contradictoires. Mais parmi ceux-ci, plusieurs nous mettent en garde sur le risque d’amende importante (25% de la valeur vénale !) si l’on quitte le pays sans son véhicule en négligeant la déclaration aux douanes. On nous parle même de devoir laisser Roberto directement à la douane, dans une sorte de fourrière. Mais qui croire ?
De passage à Antalya, nous nous arrêtons à la douane de l’aéroport pour leur poser la question. Pas de problème, nous disent-ils, faites la déclaration aux douaniers le jour de votre départ. Même à 6h du matin ?, nous inquiétons-nous. Oui, pas de problème, le service fonctionne jour et nuit, assurent-t-ils.
Sur la route de l’aéroport nord d’Istanbul, celui prévu pour notre départ dans un peu plus de 48 heures, nous nous arrêtons à l’un des parkings longue durée que nous avions repérés. Aucun problème, ils peuvent nous prendre pour environ 2 € par jour. C’est déjà ça. Reste à confirmer que les douanes acceptent.
Nous poursuivons jusqu’à la douane de l’aéroport. Nous expliquons notre situation à grands renforts de Google Traduction (l’Anglais des douaniers est très limité, mais c’est tout sauf un reproche), et ils nous renvoient à la douane de l’aéroport Atatürk, tout au sud d’Istanbul, à 56 km de là… Ok…
Une heure et un déjeuner plus tard, nous entrons dans notre 3ème douane depuis Antalya. Après que nous ayons de nouveau expliqué notre situation, on nous confirme qu’il faut bien laisser notre véhicule chez eux et qu’il faut remplir une attestation sur l’honneur certifiant, entre autres, que personne ne conduira Roberto en notre absence. Nous demandons un modèle, on nous envoie vers le service de photocopies …qui nous photocopie effectivement l’imprimé à remplir. Évidemment, tout est en Turc, mais avec l’application de Google nous nous en sortons à peu près. Nous revoyons l’employé des photocopies car il faut joindre des copies du passeport, de la carte grise et de l’assurance de Roberto. Nous lui demandons au passage de vérifier notre attestation. Il nous corrige une date et nous indique dans un anglais approximatif que nous devons faire tamponner tout ça au bureau 15, puis au bureau 12, puis au bureau 14 avant de revenir lui faire photocopier les documents une fois tamponnés.
Un peu plus d’une heure plus tard, nos documents sont validés, on nous envoie vers un dernier bureau, sans numéro celui-là. L’ambiance est joyeuse. Les employés se taquinent pour savoir à qui incomberait de traiter notre dossier. L’un d’eux nous prend finalement en charge, tape deux ou trois trucs sur son ordi. Et nous demande les clefs de Roberto. Claudie et moi nous regardons interloqués. Nous sortons vite le traducteur pour expliquer que nous voulions juste faire les papiers, mais que nous ne déposerons notre véhicule que le surlendemain, juste avant de prendre notre avion. L’employé nous ramène alors au premier bureau qui nous avait renseigné. L’homme prend la liasse avec tous les tampons dûment récoltés, écrit une petite phrase en bas et me demande de signer… Le traducteur confirme hélas nos craintes : il nous faut annuler la procédure, elle ne peut se faire que le jour du dépôt effectif du véhicule. Je n’ai pas d’autre choix que de signer, faute d’être à la rue pendant 2 jours, la précieuse liasse qui disparaît à tout jamais de notre vue.
Et donc deux jours après, nous revoilà dans cette fameuse douane. Cette fois nous filons directement au service de photocopie, enchaînant les bureaux 15 et 12, puis directement à celui sans numéro, sans passer par le 14, ça s’améliore on dirait. En 15 mn, nous avons fait le même parcours que l’avant-veille en une heure. Nous sommes presque heureux de donner la clef de Roberto quand on nous la demande, pensant être tout près de la fin. Mais non, l’employé nous rend la clef après y avoir collé une petite étiquette avec un numéro et nous tend une feuille de papier. Il nous mime qu’il nous faut apposer la feuille derrière le pare-brise et conduire notre véhicule à l’intérieur de l’enceinte de la douane. Nous nous exécutons, j’abandonne Claudie près du portail avec les bagages et je poursuis seul les démarches. Je conduis Roberto dans une zone clôturée où il est le dernier à entrer. Chaque véhicule qui voudra sortir nécessitera que le nôtre soit déplacé. Un état des lieux est rempli, comme pour une location et puis j’abandonne avec sa clef notre compagnon à 4 roues, batterie cellule débranchée, frigo vidé et tous bien précieux soit pris avec nous soit laissés au coffre.
Mais ça n’est pas encore fini. La liasse s’est enrichie de l’état des lieux, et il faut donc tout refaire tamponner aux bureaux 14 et 8, tout faire rephotocopier, tout faire valider au bureau sans numéro qui nous renvoie vers le bureau 12. Là, on me tend comme seule preuve de mon dépôt la 3ème copie toute pâle et toute mince de l’état des lieux, me disant que c’est ça qu’il faudra que je présente lors de la récupération de mon véhicule. Pris dans le vertige des numéros, je demande à quel bureau il faudra que je m’adresse. Et là, je n’oublierai pas le sourire ironique et la réponse qui tue de l’employé, balayant d’un bras tout le couloir : « A n’importe quel numéro ! »
Mariage à la turque
Nous avons passé notre dernière nuit avant de déposer Roberto sur le parking d’une salle de mariage. Ces établissements sont en grand nombre dans les périphéries des villes, laissant augurer soit une fréquence particulièrement élevée du mariage en Turquie, soit des cérémonies d’envergure systématiques à cette occasion. Renseignement pris, les deux hypothèses sont valables et se rejoignent. 2/3 des Turcs de plus de 15 ans sont mariés – c’est le chiffre le plus élevé de l’OCDE – contre 47,5% des Français par exemple. Ce qui correspond à environ 9 mariages par an pour 1000 habitants.
La première étape d’un mariage turc est la demande en mariage, faite au père de la jeune fille soit par le prétendant, soit par la personne la plus âgée de sa famille. En cas d’acceptation, la future épouse va servir un bon café à ses invités, mais une version surprise, plus ou moins salée ou poivrée à son futur conjoint. S’il le boit sans sourciller, témoignant ainsi de son total dévouement, s’en suivront des fiançailles avec échanges d’anneaux, signature d’un accord financier et bien sûr festivités.
Le mariage lui-même, financé par les 2 familles, va durer 3 jours (contre 40 jours autrefois, la crise économique est passée par là…), précédés par la cérémonie du henné déposé avec une pièce de monnaie porte-bonheur au creux des mains de la future mariée vêtue d’une robe rouge. Malgré l’importance des traditions en Turquie, le mariage religieux reste facultatif.
La révolution de l’écriture
Lors de notre parcours grec, nous avons eu beaucoup de mal à déchiffrer les menus ou les panneaux routiers en raison des caractères non latins. Nous nous attendions à pire en arrivant en Turquie, mais ça a été exactement l’inverse. En 1928, sous l’impulsion réformatrice d’Atatürk, le pays a troqué en quelques mois seulement ses caractères arabes pour des caractères latins. Imaginez un instant la situation inverse, voir disparaître du jour au lendemain tous les caractères latins de notre langue française transcrits phonétiquement en caractères arabes, devoir les lire de droite à gauche, et vous comprendrez la difficulté engendrée pour les Turcs. Le caractère autoritaire de la réforme n’a pas permis beaucoup de protestations, mais beaucoup considèrent aujourd’hui que cela a permis une véritable ouverture à l’extérieur pour le pays et Atatürk est encore très vénéré aujourd’hui, bien davantage que le président actuel.
Cuisine turque pour affamés
Blagounette à deu Troie balles
Réparons ici un petit oubli lors du récit de notre visite de la cité antique de Troie, qui est bien en Turquie alors que son histoire a été écrite par le Grec Homère dans l’Iliade. On y trouve notamment le héros Achille, tué d’une flèche dans le talon par Pâris et Apollon, tout cela décrit par la plume d’Homère. 2 ou 3 photos prises dans la boutique ou le musée m’ont inspiré cette petite blagounette à deu euh Troie balles.
Le père des Turcs
Mustafa Kemal est entré de bonne heure dans l’armée Ottomane après ses études en école militaire. Il s’est illustré dans plusieurs conflits au cours de la première guerre mondiale. Après l’armistice et la dislocation de l’empire ottoman, il a senti que son pays ne tenait plus à grand-chose et a tout fait pour le rendre indépendant et moderne. Il en a été le premier président et a œuvré pendant ses 15 ans de règne pour que le pays s’occidentalise socialement, culturellement, économiquement et politiquement. Considérant les religions comme un frein, et notamment l’islam largement majoritaire, il a laïcisé la Turquie, interdisant toute pratique religieuse, fermant les lieux de culte et permettant aux femmes de ne plus se voiler et de porter des vêtements occidentaux. Il a même donné le droit de vote à celles-ci 14 ans avant la France. Sa réforme la plus significative a été le remplacement de l’écriture arabe par des caractères latins. Dans le même esprit, Mustafa Kemal a imposé les patronymes, qui avaient disparu au temps de la période ottomane, montrant l’exemple en se faisant appeler Atatürk, ce qui signifie père de la nation. On n’est jamais si bien servi que par soi-même. Si toutes ces réformes ont transformé positivement la Turquie, en faisant un état à part parmi ses voisins, et en lui donnant une possible porte d’entrée dans l’Union Européenne, l’aspect dictatorial du gouvernement est moins reluisant, et la chasse des populations de religion différente l’est encore moins. Mais à voir les portraits de l’ancien président partout dans les rues, la reconnaissance des Turcs parait définitivement acquise.
Quelque part en Turquie
Sont regroupées ici toutes ces petites choses photographiées ça et là, ne méritant pas un paragraphe à elles-seules mais néanmoins représentatives de la vie locale. Une occasion aussi d’occuper le terrain pendant notre parenthèse française.
En route vers Roberto
Voilà, le temps de ces petits sujets, nous avons passé quelques semaines en France et fait le plein d’amour et d’amitié. Nous retrouvons le chemin de l’aéroport et bientôt celui de la Turquie. Avec bien sûr les retrouvailles avec Roberto.
A bientôt d’Istanbul !