148. Rio Grande do Sul

Nous amorçons notre découverte du Brésil par son état le plus au Sud, le Rio Grande do Sul, un territoire dont l’histoire a été mouvementée. Initialement destiné aux Espagnols qui avaient alors lancé le grand programme des Missions pour évangéliser les « indiens » Guaranis, principaux occupants, le Rio Grande do Sul a ensuite été réattribué aux Portugais puis au Brésil. Il est théoriquement le territoire des gauchos, métis blancs-indiens, connus pour maîtriser les immenses troupeaux de bétail qui paissent dans les pampas, mais nous n’en avons guère vu à l’œuvre. Le Rio Grande do Sul s’est ensuite spécialisé dans la culture de la vigne avec l’arrivée des colons italiens. Il est aujourd’hui la principale région productrice de vins brésiliens. Voilà pour les présentations…

Rio Grande do Sul
Le parcours décrit dans cet article. Une version zoomable est disponible ici

Passage de la frontière

Nous nous attendions à avoir un peu d’attente au passage de la frontière entre l’Uruguay et le Brésil, mais il n’en a pas été ainsi. Car les deux pays font partie du Mercosur, une zone de libre-échange à la manière de notre espace Schengen, qui fait que la grande majorité des véhicules ne font que ralentir. Bien entendu, il nous faut pour notre part effectuer les formalités de sortie de l’Uruguay et d’entrée au Brésil aussi bien pour Roberto que pour nous même. Les douanes des deux pays sont situées dans le même bâtiment, ce qui nous simplifie les choses, et grâce au Mercosur, les guichets étaient vides. Tout cela nous a pris un petit quart d’heure. Et Roberto n’a pas été contrôlé, alors que nous avions fait notre maximum pour ne pas avoir d’aliments frais dans le frigo. A noter que nous aurions pu, en effectuant une déclaration, importer 10 kg de viande et 12 litres d’alcool chacun !

Comme à l’arrivée dans chaque pays, il nous faut un forfait de téléphone, un peu d’argent liquide et faire les courses. Pour le téléphone, pas de souci, nous retrouvons notre forfait Free avec ses 35 gigas octets de données mensuelles. Pour l’argent liquide, c’est plus compliqué : aucune des banques de notre ville d’arrivée brésilienne ne pratique le change et leurs distributeurs automatiques n’acceptent que les cartes de leurs clients. Et nous ne trouvons aucun bureau de change. Il nous faudra nous contenter de nos cartes pour l’instant. Enfin, pour les courses, un petit supermarché avec un petit parking nous permettra de faire de petites courses…

Dès la sortie de ville, nous sommes brusquement à la campagne. D’immenses pâturages comme en Uruguay, mais aussi pas mal de terrains en friche. La végétation borde directement la route, fini les larges bas-côtés tondus à ras. Mais les premières routes sont plutôt en bon état, espérons que cela dure ! Les distances sont grandes entre deux villes, souvent plusieurs dizaines de kilomètres pendant lesquels aucune maison même isolée n’est perçue à l’horizon. Comme en Uruguay, la circulation est très peu dense.

Quand nous envisageons de nous arrêter pour la nuit après plusieurs heures de route, notre application nous suggère un camping au bord d’une rivière. A notre arrivée, il est désert et la réception est fermée. Aucun occupant non plus pour nous renseigner. Bah nous nous installons quand même et passerons une très bonne nuit. Un robinet d’eau resté accessible nous permettra en outre de refaire le plein d’un de nos réservoirs.


Les Missions

Nos missions – que nous avons acceptées – étaient au nombre de 4.

-> La première était de nous rendre dans le large secteur des missions jésuites qui, aux XVIe et XVIIe siècle, avaient pour objectif de créer avec les amérindiens une société avec les avantages et les qualités de la société chrétienne européenne, mais libre de ses vices et de ses maux. On sait comment cela s’est terminé et aujourd’hui les missions ne sont plus que des vestiges historiques. La mieux conservée du Brésil est celle de St Michel Archange, et nous avons pu nous y rendre.

Carte des missions jésuites du Brésil
Carte des missions jésuites du Brésil

-> La seconde mission était, désolé de la transition abrupte, de trouver de l’argent liquide. Mais pas davantage qu’à la ville frontière les banques ne font le change et comme là-bas, les distributeurs automatiques n’acceptent que les cartes de leurs clients. Il faudra chercher plus loin.

-> La troisième mission est de faire coïncider dès que c’est possible, le visionnage d’un film ou documentaire en rapport avec le sujet du jour. Le film La Mission, de Roland Joffé et avec Robert de Niro, s’imposait. Il raconte précisément l’action des jésuites respectant scrupuleusement l’objectif évoqué ci-dessus avec les indiens Guarani et le désastre causé par les conquistadores. Une partie de ce film poignant se déroule dans la mission de St Michel Archange que nous allions visiter. Idéal donc.

Captures d'écran du film La Mission
Captures d’écran du film La Mission

-> Notre dernière mission a été bien entendu la visite de ce lieu historique, classé à l’Unesco. Le visionnage du film la veille nous a beaucoup aidés dans la compréhension. A noter que, le guichet d’entrée n’acceptant que les espèces, on nous a permis d’entrer gratuitement. A noter aussi que, et c’est la première fois que ça nous arrive depuis le début de notre périple, des places du parking étaient réservées aux seniors (60 ans et +). Ça donne un coup de vieux mais nous n’avons pas résisté à nous garer là, pour le principe !


Donner le change

Au sens figuré, cette expression correspond bien à la construction de la Cathédrale « Angelopolitaine » de Santo Angelo, construite sur le modèle de la mission de St Michel Archange. Si l’on se place devant la façade, c’est la même mais en mieux, du moins si l’on oublie que cet édifice a été construit 2 siècles après l’autre. Au-dessus du portique, on trouve les Saints Patrons des 7 missions jésuites du Brésil. À l’intérieur, rénové en 1990, se trouve une image grandeur nature du Christ crucifié, d’origine missionnaire, datant de 1740 et réalisée en bois de cèdre sculpté.

À noter une polémique intéressante à propos d’une peinture commandée à un artiste local, Tadeu Martins, sur le thème de la christianisation par les jésuites. Dans un souci de conformité avec l’histoire, les enfants Guaranis étaient représentés à moitié nus aux côtés des missionnaires. Une bonne partie des fidèles s’en est offusquée, au point que la peinture était recouverte d’un tissu lors des messes et des mariages. Au décours de la rénovation suivante en 2008, les enfants Guarani avaient (miraculeusement ?) disparu de l’œuvre. Il paraît qu’un accord a été trouvé avec l’artiste… De notre côté nous n’avons trouvé cette « Saga Missioneira » ni derrière l’autel ni sur Internet, que ce soit dans sa version originale ou corrigée. Mystère…

Quant au sens propre, c’est l’histoire de cette improbable station-service qui en relève. Rappelez-vous notre insuccès depuis notre arrivée au Brésil à trouver une banque ou un distributeur de billets capable de nous donner quelques reais – le pluriel du real brésilien – à partir de nos cartes bancaires ou des rares devises que nous avons emportées. Claudie essaiera sans succès trois banques de San Angelo et leurs DAB. C’est l’agent de sécurité de la dernière qui suggéra que peut-être dans telle station-service une borne rouge pourrait accepter les cartes étrangères. Une station-service ? Pourquoi pas une boucherie ou un salon de toilettage pour chiens ! Enfin nous allons voir et effectivement, l’un des deux distributeurs de billets situé dans la boutique, le rouge bien sûr, a été à même de nous délivrer nos précieux dinheiro – nom des espèces en portugais.


Le cœur violet du Brésil

Que trouve-t-on dans une ville qui s’appelle Ametista do Sul ? Des améthystes bien sûr ! Apparues il y a 130 millions d’années suite à des bulles formées dans des coulées de lave. Les minéraux qui s’y sont infiltrés ont formé avec le temps de magnifiques cristaux, que l’on découvre en ouvrant les géodes trouvées dans le sol. L’activité est aussi dense que prospère à Ametista, aussi bien par des entreprises familiales qui exposent leurs trouvailles devant leur maison que par des firmes plus conséquentes, dont les galeries sont désormais suffisamment profondes pour en ouvrir une partie aux touristes. Nous avons visité l’une de ces mines à bord d’un petit camion aux parois grillagées afin que nos têtes ne soient pas rabotées par les rochers très proches, pour découvrir quelques éléments mis en scène du travail des mineurs et surtout quelques géodes ouvertes mais laissées en place dans la roche. Malheureusement, les commentaires n’étaient qu’en Portugais et nous n’avons rien compris. Il va falloir que nous fassions des progrès rapidement ! Le plus intéressant a été la visite du musée, exposant une incroyable collection de pièces magnifiques, récoltées au fil des années.


Les spots de la liberté

Nos lieux de bivouacs sont éminemment variés. Si nous préférons habituellement les coins nature, les nécessités de nos visitent nous rapprochent alors des villes. La veille, dans Ametista do Sul, nous avons dormi sur le parking en terre du musée du bambou que nous avions prévu de visiter le lendemain. Un musée totalement inintéressant, concocté pour soutirer quelques reais aux touristes en bus qui viennent surtout visiter les mines. Cette fois, c’est la présence d’une laverie automatique dans la ville de Passo Fundo qui nous a conduit à trouver un endroit adapté proche de la ville. Nous avons jeté notre dévolu sur le parking d’un grand magasin spécialiste de l’équipement de la maison (Havan pour ceux qui connaissent). Cette chaîne a l’habitude de dresser une effigie de la statue de la liberté devant ses établissements. C’est donc à proximité de l’une d’entre elles que nous avons garé Roberto pour la nuit, nous (vous) offrant quelques images insolites.


Little Italy

Nous voici à Bento Gonçalves, une ville qui a été choisie par les autorités brésiliennes pour recevoir les émigrants européens. Ce sont les Italiens qui sont arrivés en nombre dans les années 1870, fuyant les impôts élevés et la pauvreté entraînée par les guerres d’unification à cette époque. Ils ont amené avec eux leur savoir faire en matière vinicole, peinture des maisons en vert-blanc-rouge et cuisson des pâtes. Grâce à eux, Bento Gonçalves est la première région productrice de vin au Brésil, et produit notamment d’excellents vins pétillants.


Manger au kilo

Nous avons testé la Cantina Del Piero, une cantine tenue par une famille d’origine italienne depuis 1992 qui sert des plats faits maison d’excellente qualité, vendus au kilo. C’est la première fois que nous testons une telle formule. Il s’agit d’un self-service classique où l’on compose donc soi-même son assiette, laquelle est ensuite pesée. Les boissons sont en supplément mais un petit dessert et le café sont offerts. Ce qui différencie cette « cantine » des Flunch ou autres, outre peut-être la qualité de la nourriture, c’est le service attentionné que nous avons reçu, le serveur déployant un maximum d’efforts pour nous présenter le mode d’emploi, nous guider dans le choix du vin et nous offrir un dessert supplémentaire que nous ne devions pas rater. Coût de l’opération : un peu moins de 15 euros à deux, (pleins) verres de vin, desserts et cafés compris. Le kilo de plats était à 13 euros.


Geisse what ?

De Bento Gonçalves, nous avons pris la route des vignes, celle qui mène vers le village de Pinto Bandeira, où les émigrés italiens sont arrivés en 1876. Après de nombreuses péripéties, 3 changements de nom, une élévation au rang de municipalité en 2010, annulée en 2013 puis réattribuée en 2020, la petite commune est maintenant un ensemble d’établissements vinicoles plus ou moins renommés. Après avoir traversé le village, sillonné au travers des vignes, nous avons voulu visiter l’une des exploitations les plus célèbres à l’étranger, la maison Geisse. Impossible de visiter les installations, mais possible de déguster le vin dans un environnement agréable et avec de petits en-cas sympathiques. Vins pétillants méthode champenoise testés et approuvés !

Pour en savoir plus sur les péripéties de Pinto Bandeira : https://www.pintobandeira.rs.gov.br/secao.php?id=2


Changement de décor

Plus rien d’italien dans notre nouvelle ville-étape de Gramado, ou alors en cherchant du côté des Alpes. Ce sont plutôt des Allemands et des Autrichiens qui se sont installés là, dans un décor de station de sports d’hiver mais sans domaine skiable. Nous sommes à 800 m d’altitude et la neige est rare, même si des reliefs blancs en plastique sur les toits essaient de nous faire croire le contraire. Par contre, dans les vitrines, ce ne sont que horloges à coucous, coutellerie, vêtements chauds, restaurants à fondue et accessoires de Noël. Tout ça vendu toute l’année bien sûr, car ici Noël tombe en plein été, en haute saison touristique. On aime manifestement le kitsch à Gramado, vu le bon nombre de parcs à thème que possède la ville, facilement repérables par leur façade exubérante avec personnages géants. Sans être dupes de tout ça, très amusant finalement, nous nous sommes laissés tenter par un chocolat chaud tellement épais qu’il se déguste à la cuiller.


Attractions

Gramado et sa ville-soeur Canela en font un maximum pour attirer les touristes, manifestement l’économie principale de la région. Outre leur architecture calquée sur les stations de sports d’hiver alpines, ces deux villes semblent concourir sur le nombre d’attractions, parfois appelées parcs à thème. Un peu abusivement sans doute, nous sommes loin du gigantisme des parcs d’Orlando ou du parc Astérix par exemple. Le thème choisi (les possibilités sont nombreuses) est décliné ensuite à grand renfort de carton-pâte et de plastique, surtout pour les façades en guise de publicité. Les attractions de départ et j’espère les plus visitées sont celles ayant trait à la nature, comme la seconde cascade la plus visitée au Brésil après les chutes d’Iguaçu ou sa plate-forme de verre au-dessus du vide, maintenant un grand classique. Mais on trouve tout aussi bien des attractions recréant un petit monde égyptien, gelé, à vapeur, automobile classique ou hollywoodien, en cire, géant, spatial, ou encore ayant trait aux Beatles, au basket, aux machines à bonbons, aux cavernes de l’âge du feu dans lesquelles on déguste des fondues, etc. La liste semble infinie et évolue chaque année, de vieilles façades décrépites en cours de rénovation en témoignent. Les activités extérieures étant malheureusement exclues en raison d’un temps froid et continuellement pluvieux, nous nous sommes rabattus sur un musée et une chocolaterie. Le premier, le « monde de la vapeur » nous avait attiré par sa façade d’où une locomotive à vapeur semble tombée du 1er étage, malheureusement il était fermé. Nous avons eu davantage de succès avec la chocolaterie, surtout avec la dégustation !


Retrouvailles

Voici plusieurs jours que le beau temps nous faisait défaut, alors nous quittons prématurément les collines de Gramado et Canela pour rejoindre le littoral. Bien nous en a pris car, si le vent reste bien présent, le soleil est de retour et c’est bien appréciable. Comme en Uruguay, nous nous garons assez facilement près des plages, le seul problème étant de trouver une rue qui ne soit pas trop circulante. Maintenant, nous sommes en basse saison, et en période d’été austral (décembre à février) cela doit être plus compliqué. Nous allons continuer pendant quelque temps de longer la côte du Brésil qui compte tout de même 7 491 km (à peu près 2 fois et demi celles de la France métropolitaine). Si nous sommes loin du record pour la longueur du littoral – le Canada est très loin devant avec plus de 200 000 km – le Brésil détient le record mondial de la plage la plus longue avec 254 km de sable ininterrompu. Dans l’état du Rio Grande do Sul justement.


Nuit en montagne

Approchant en fin d’après-midi la ville de Gravatal, de nouveau dans l’intérieur du pays, nous cherchons un endroit pour passer la nuit. Ni les options proposées par nos applications ni ce que nous avons pu repérer ne nous conviennent, toutes proches de l’animation de la ville et d’autres véhicules. Il fait encore jour, nous avons donc un peu de temps, alors nous nous engageons sur un petit chemin de terre bien tassée qui grimpe vers les collines. Après plusieurs kilomètres, aucun dégagement à peu près plat n’est visible. Nous repérons à un croisement un panneau « Igreja de Sao Geraldo ». Cela vaut la peine de tenter l’aventure, les églises possédant souvent un petit parking. A voir si en montagne c’est pareil. Le second chemin est plus étroit, plus orniéré et parfois moins bien tassé, ce qui m’oblige à utiliser la fonction Traction+ de Roberto, qui sur sol glissant, transfère le couple à la roue motrice qui adhère le mieux. Ça fonctionne plutôt bien et nous finissons par arriver au pied de cette petite église en bois. La seule place disponible est devant le bâtiment adjacent, peut-être un presbytère. Il est fermé, alors nous nous y installons. Nous passerons une nuit au grand calme et nous réveillerons le lendemain au-dessus d’une belle mer de nuages qui envahit la vallée. Rien que pour ça, cela valait le coup de grimper !


Une rencontre d’exception

« Quand vous serez du côté de Florianópolis, prévenez-moi » nous avait dit Elisa, l’une des amies d’Achille et Jordanne, notre fils et notre belle-fille. Brésilienne de naissance, Elisa tenait à ce que nous rencontrions ses parents, habitant Sao Bonifacio, une charmante petite bourgade dans l’intérieur des terres. Alors nous y sommes allés et avons vécu un excellent moment avec Cintia et Jose Carlos, un couple adorable qui nous a transmis d’emblée sa bonne humeur et le plaisir d’être venu habiter à la campagne trois ans auparavant. Converser n’a pas été des plus facile, notre niveau de Portugais en étant au stade de grands débutants, mais en intégrant des efforts de prononciation de la part de nos interlocuteurs avec un joyeux mélange d’Anglais, de Français, d’Espagnol et de Google Traduction, nous sommes parvenus à nous comprendre pour l’essentiel et passer un bon moment ensemble. Nous espérons vivement les revoir lorsqu’ils viendront prochainement en France voir Elisa et son mari Antoine.


En arrivant à Sao Bonifacio, nous avons quitté le Rio Grande do Sul pour l’état de Santa Catarina, du nom de la grande île reliée au continent par la ville de Florianópolis. Ce sera notre prochaine étape. Nous nous y retrouverons très bientôt !

127. Albanie

Ce 32ème pays de notre périple n’est pas un enième pays balkanique. Il a son caractère bien à lui. Déjà parce que ses origines sont différentes, les Albanais descendant des Illyriens, comme en témoigne leur langue unique indépendante des dérivés du serbo-croate parlés autour. Et puis parce que son histoire est particulière, faite d’une succession d’envahissements et de dictatures. Mais les Albanais sont résilients et bien plus attachés à leur nation qu’à leurs diverses religions.


La cathédrale transformée en salle de gym

La cathédrale de Shkoder, au Nord-Ouest de l’Albanie, a connu bien des tourments liés au passé mouvementé du pays. Née dans un château au Moyen-Âge, elle fut transformée en mosquée au XVe siècle après l’invasion des Ottomans, qui autorisèrent finalement sa reconstruction entre 1858 et 1867. Endommagée par un séisme en 1905, puis par un bombardement en 1913, elle fut reconvertie en palais des sports en 1967, sous le régime du dictateur Enver Hoxha. Il a fallu attendre la chute du Rideau de Fer en 1990 pour que la cathédrale retrouve sa fonction initiale, avec les honneurs de la visite de Mère Teresa et du pape Jean-Paul II en 1993. Le Dieu du ciel a repris sa place aux dieux du stade.


Photo-nostalgie

Toujours à Shkoder se trouve une exposition de photographies anciennes rassemblées par une famille albanaise, un témoignage exceptionnel du passé limité bien sûr à la date d’apparition de la technologie. Si la galerie de clichés commentés est intéressante, elle s’accompagne aussi d’une collection de matériels de prise de vue et de laboratoire qui ont fait ressurgir en moi l’époque où, adolescent, j’étais passionné par la photographie argentique, du découpage des bobines de films dans le noir complet au séchage des tirages sur la machine à glacer en passant par toutes les étapes de la prise de vue et des manipulations en laboratoire sous lumière rouge. Ceux qui sont passés par là apprécieront.

P.S. La dernière image est celle d’un appareil photo à 15 objectifs. A l’époque où l’on ne pouvait avoir qu’un seul exemplaire de chaque photo prise (pas de négatif), cela permettait d’en avoir 15 d’un coup !


Ponts et chaussées

La période ottomane, qui a duré environ 4 siècles, de 1478 à 1819, a laissé pas mal de souvenirs dans le pays. Parmi eux ces gracieux ponts de pierre munis d’arches en ogive et parfois décorés de motifs géométriques ou de calligraphies arabes. Nos préférés sont le pont de Mes, le plus long des Balkans avec ses 108 mètres et ses 13 arches, le pont des Tanneurs de Tirana, devenu inutile faute de rivière à traverser suite à des remaniements urbains, et le Pont de Bënjë, enjambant une rivière toute bleue et des sources thermales formant de jolis bassins, tout là-haut dans la montagne.

Dans les villes ayant réussi à conserver leur centre historique, comme Berat ou Gjirokaster, les rues sont pavées de pierres multicolores formant des motifs géométriques du plus bel effet. L’association de plusieurs types de pierres avec des rugosités différentes avait aussi pour but d’empêcher les chevaux de glisser.


Skanderberg ce héros

Peu de personnalités ayant vécu au XVe siècle ont encore une grande popularité aujourd’hui. C’est pourtant le cas de Georges Castriote dit Skanderberg, qui réussit toute sa vie durant à repousser l’invasion de l’Albanie par les Ottomans, pourtant bien plus nombreux et mieux équipés. C’est que l’homme avait du charisme et de la diplomatie à revendre, suffisamment pour fédérer les différentes tribus du pays qui pourtant ne s’entendaient guère. Ardent défenseur de la chrétienté, il bénéficiait du soutien des États pontificaux. Le pape Pie II l’avait même qualifié d' »athlète du Christ ». Les successeurs de Skanderberg n’ont pas eu le même succès : 10 ans après sa mort, les Ottomans envahissaient le centre et le sud de l’Albanie…

Nous avons vu à Lezhë, lieu de son décès, le mausolée englobant les ruines de la cathédrale St Nicolas où repose sa dépouille. Nous avons admiré son imposante statue équestre à Tirana. Nous avons visité le musée qui lui est consacré à Krujë, ancienne capitale du pays qui fut aussi son quartier général. Krujë … QG … Y aurait-il un lien ?


Les dictateurs

À la fin de chaque guerre mondiale, l’Albanie a été la proie des nations voisines qui profitaient du chaos ambiant pour s’en emparer, favorisant pour les mêmes raisons l’ascension d’hommes politiques albanais à ego élevé. C’est ainsi que le président de la république Ahmet Zogolli s’auto-proclama roi du pays en 1928,  et qu’après ses débordements, le politicien Enver Hoxha le destitua au profit d’un régime communiste pur et dur dont il était le seul maître, ce qui revenait quasiment au même. Le premier, outre un train de vie excessif, avait pratiquement vendu son pays à Mussolini, qui d’ailleurs finit par l’envahir. Le second, après s’être cherché des liens avec les pays idéologiquement proches (Yougoslavie, URSS, Chine), les a tous rompus, isolant l’Albanie du reste du Monde à la manière de la Corée du Nord aujourd’hui. Craignant le contre-pouvoir religieux, Enver Hoxha fit fermer et/ou détruire tous les lieux de cultes, tout en proclamant en 1967 l’Albanie comme le « premier état athée du monde ». Craignant des représailles aussi bien externes qu’internes, il fit installer 700 000 bunkers dans tout le pays, qu’on retrouve encore un peu partout, et mit en place un système fortement répressif basé sur l’espionnage massif de tout le pays via une police politique appelée Sigurimi. En découlèrent 40 années d’isolement total, d’appauvrissement économique et surtout une répression parmi les plus sanglantes d’Europe. La « maison des feuilles » et le « bunk’art » (un ancien bunker reconverti en musée) à Tirana relatent ouvertement cette période sombre qui a causé la mort de dizaines de milliers de personnes et conduit à l’incarcération et à la persécution d’à peu près autant d’autres.


Tailler la route

La route est une partie importante de notre vie nomade. Elle est souvent un bon reflet de ce que nous trouverons plus tard dans le pays. En dehors des grands axes, les routes sont étroites et leur revêtement nécessite une attention permanente tant il est parfois endommagé, manquant ou affaissé. Les automobilistes sont tantôt excessivement lents, tantôt trop rapides. A l’inverse du klaxon, les clignotants sont rarement utilisés. Nous n’avions pas rencontré jusqu’ici de stationnement aussi anarchique : la double file est d’usage courant, mais aussi le stationnement en épi là où les autres sont alignés le long de la chaussée et réciproquement. Un jour, alors que nous voulions nous garer sagement sur un emplacement bien délimité au sol, les habitants nous ont fait signe de nous garer de l’autre côté de la rue, en plein sur la voie de circulation. Peut-être parce que c’était à l’ombre ? Il nous est arrivé aussi de devoir faire marche arrière dans des petites rues bloquées par un stationnement inadapté. Les voitures sont pourtant de belle taille, le modèle le plus répandu étant la Mercedes, ce qui pose question dans l’un des pays les plus pauvres d’Europe. Parmi les explications possibles, le fait que les dirigeants de l’époque communiste étaient les seuls à pouvoir en posséder en fait un signe de prééminence sociale ; la réputation de solidité de la voiture allemande lui confère aussi un avantage sur les routes défoncées et stimule le marché de l’occasion, d’autant que les voitures neuves sont très taxées dans le pays. Pour terminer, mentionnons la rue Egnatia qui traverse toute l’Albanie. Venue de Constantinople (maintenant Istanbul), elle mène tout droit à Rome. Contrairement au dicton, c’est bien la seule ici.


Avantagée par la nature

La nature en Albanie est immense et sauvage, c’est un grand point positif pour le pays. Le nord-est de l’Albanie est très montagneux et difficilement accessible faute de routes. Il y a sans doute largement de quoi satisfaire les découvreurs en herbe. Pour le reste, nous avons vraiment trouvé de jolis coins, que ce soit pour la visite ou pour y dormir. A deux reprises, nous avons été entourés le soir par des chevaux sauvages. Un matin, nous nous sommes réveillés avec un troupeau de moutons et avons pris le café avec son berger. Pour nos deux seules nuits en camping, des animaux de basse-cour se promenaient autour de nous. Et puis nous avons randonné dans des endroits grandioses, dormi près de rivières toutes bleues, observé les locaux traverser des lacs en barque, remonté un canyon avec de l’eau jusqu’aux genoux. Jamais nous n’avons senti déranger les habitants, qui au contraire, voyant que nous hésitions à rejoindre un « spot » nous en indiquaient le chemin. Ici, traditionnellement, le sens de l’accueil est élevé. Jamais autrefois on ne refusait le gîte et le couvert à des voyageurs qui se présentaient. Je ne sais pas si c’est encore vrai aujourd’hui, faute d’avoir tenté l’expérience.


Cuisine locale

Nous avons été surpris de voir aussi peu de fruits et légumes dans les supermarchés, jusqu’à comprendre qu’ici on les achetait plus volontiers au bord des rues ou sur les marchés. La cuisine locale ressemble à celle des pays voisins, alliant toujours des influences italiennes et turques, mais rajoutant ici une touche de grec. La viande est volontiers grillée, en boulettes ou cuite en ragout. Le yaourt est dans presque toutes les sauces. Les deux plats les plus typiques portent le nom de leur récipient : le tavë, un plat en terre cuite qui passe directement du four à l’assiette, contenant morceaux de viande, légumes et sauce au yaourt un brin épicée. Et le saç, un plat métallique avec un couvercle pour cuire divers ingrédients sur la braise. Nos desserts se sont essentiellement composés de fruits, les pâtisseries locale, d’influence orientale, bien que très tentantes, étant trop sucrées. Le raki, une eau de vie de fruits, accompagne aussi bien les entrées que le café après le repas ou même celui du matin… Les bières locales, notamment la Korça, tiennent la route.


La religion

Peut-être parce qu’ils ont été privés du droit de culte pendant les 40 années de dictature communiste, les Albanais déclarent presque tous une religion. Mais pour avoir subi ces nombreuses invasions, ils sont bien davantage attachés à leur nation qu’à une religion particulière. Il en résulte une grande tolérance religieuse malgré le caractère largement majoritaire de l’islam. 70% de la population est musulmane, mais cela ne se voit pas. Le voile n’est presque jamais porté, les appels à la prière sont extrêmement discrets, les pratiquants réguliers sont en fait assez rares. 25% sont chrétiens, orthodoxes ou catholiques. Et 5% sont un peu musulmans un peu chrétiens en ayant adopté la religion bektache. Ils prient dans des tekkes, sans sièges ni bancs comme dans les églises, mais richement décorés et hommes et femmes réunis contrairement aux mosquées. Il est courant en Albanie d’avoir deux ou trois lieux de culte différents qui se font face.


Mais qu’est-ce qu’il a ce George ?

Si vous pensiez que j’allais parler de cette chouette chanson de Salvatore Adamo et Olivia Ruiz, j’en suis désolé. Mais là, nous allons parler de George W., dont nous avons curieusement trouvé une statue sur notre route, dans une petite ville du centre de l’Albanie dont vous n’avez probablement pas entendu parler, Fushë-Krujë. Et mieux encore, un café et une boulangerie à proximité de la statue portent aussi son nom ! Mais qu’a donc fait l’ex-président des États-Unis pour mériter cela ? Eh bien déjà il est venu en Albanie, ce qu’aucun président américain n’avait fait auparavant, pour exprimer le soutien des États-Unis non seulement aux Albanais du pays mais aussi à ceux en grande difficulté au Kosovo. Et sûrement aussi pour y investir quelques dollars une fois la région stabilisée.

L’insolite de la statue attire aussi les commentaires sarcastiques des voyageurs sur les avis Google Maps, presque plus amusants à lire que l’histoire de la visite elle-même. En voici quelques-uns.



Tenir sa langue

L’albanais est une langue indo-européenne sans parenté avec les autres, formant une branche à elle seule. Elle pourrait être dérivée de l’illyrien antique. La première conséquence pour nous est que cette langue s’écrit en caractères latins, plus compréhensibles que le cyrillique qui envahissait de plus en plus les panneaux en descendant vers le sud. Et que nous retrouverons de toutes façons lorsque nous passerons en Grèce. Alors pour l’occasion, voilà juste un petit florilège d’enseignes locales et un petit quiz pour exercer votre sagacité


Trois villes incontournables

1. Tirana, pour son dynamisme et son architecture

Tout le modernisme de ce pays qui est l’un des moins riches d’Europe semble se concentrer dans sa capitale, avec un nombre impressionnant de gratte-ciels esthétiquement réussis qui semblent faire la nique aux bâtiments austères et mastocs de la période communiste. Les commerces du centre-ville diffèrent peu de ceux des autres capitales européennes, les rues sont larges et bien aérées. La grande place Skanderberg est le cœur de la ville, toute carrelée de blanc et bordée d’édifices religieux et publics de belle facture, dont le musée d’histoire nationale et son emblématique mosaïque en façade. De nombreux personnages presque tous armés marchent vers la gloire et la victoire (libération du pouvoir ottoman) entourant une jeune femme symbolisant la mère patrie. Un peu plus loin, une cloche fondue avec des milliers de douilles retrouvées après l’insurrection de 1997 qui a conduit à la chute du gouvernement communiste rend hommage cette fois aux victimes de cette dernière lutte pour la démocratie. Évoquons aussi la pyramide Hoxha, qui a failli tomber dans le même oubli que son dictateur éponyme, avant qu’on décide de la rénover. Enfin, curiosité unique, Tirana possède 2 rues Georges W. Bush…


2. Berat, pour son magnifique ensemble de maisons ottomanes et son château

De part et d’autre d’une rivière s’alignent en terrasses une multitude de maisons ottomanes aux façades blanches percées de nombreuses ouvertures toutes pareilles, qui font surnommer Berat « la ville aux mille fenêtres ». Au-dessus, perchée sur un immense rocher, trône une citadelle hébergeant de nombreux édifices classés à l’UNESCO, mais aussi encore pas mal d’habitants et de commerces. Berat mérite aussi la visite pour ses nombreux édifices religieux dont le plus emblématique est l’église St Michel, accrochée à mi-hauteur sur le rocher de la citadelle, et qui figure en couverture de notre édition du guide Lonely Planet.


3. Gjirokaster, pour ses maisons fortes remarquablement conservées

C’est dans cette ville du sud de l’Albanie que naquit la rébellion contre l’empire ottoman sous la férule d’Ali Pacha. Il réussit là où Skanderberg avait échoué en déclarant de façon unilatérale l’indépendance de l’Albanie en 1819, mais n’eut pas le temps d’être populaire, décapité en représailles par les Turcs 2 ans après. Notre Alexandre Dumas national l’a tout de même immortalisé dans son roman éponyme. A cette époque, rien de tel pour se défendre que des maisons fortifiées, dont on peut encore retrouver et visiter quelques exemplaires dans la vieille ville. Une façon idéale de s’imprégner des coutumes ottomanes du XIXe siècle, notamment celles liées aux mariages et au sens de l’hospitalité (des pièces étaient réservées exclusivement à ces usages dans chaque maison). Nous avons visité aussi la forteresse qui surplombe la ville, comme à Berat, mais qui présente moins d’intérêt.


Une claque à l’odomètre

C’est en Albanie que l’odomètre de Roberto va afficher désormais six chiffres, soit 100 000 km, après avoir parcouru 32 pays différents en un peu plus de 3 ans. Notre monture se porte plutôt bien. Mis à part cet agaçant voyant « faire contrôler moteur » qui s’affiche puis disparait spontanément sans que l’on n’ait jamais trouvé de cause précise, et bien sûr ce souci vite réparé de démarreur et de batterie au Monténégro, nous n’avons pas connu de panne bloquante. Pourvu que ça dure !

Et 100 000 km, sur cartes, ça donne quoi ? Ces petites animations permettent de bien réaliser les distances parcourues

2O21 – Europe du Nord

2023 – Amérique Centrale
2022 – Amérique du Nord

2024 – Europe du Sud-Est

Vamos a la playa


Souvenirs souvenirs


En route pour la Grèce

Ça ne nous était pas arrivés depuis le Panama, nous allons quitter le pays par bateau. Car nous ne passons pas de suite vers la Grèce continentale mais nous allons l’aborder par une île : Corfou. C’est dans un ferry modeste que nous allons traverser, avec une porte d’entrée à peine plus grande que Roberto et pour corser la chose – c’est une première – un embarquement en marche arrière. Mais bon, il y a des marins pour vous guider (en albanais ou en grec…) et ça s’est bien passé. A suivre, donc.


Et la carte du parcours pour finir, zoomable en cliquant ici

126. Les merveilles du Monténégro

Nous arrivons au début du mois de mai au Monténégro, le 31ème pays depuis le début de notre vie nomade il y a un peu plus de 3 ans, alors que nous approchons des 99000 km parcourus. Ce petit pays a été l’un des derniers avec la Serbie à quitter la Yougoslavie, les deux contrées partageant une religion orthodoxe prédominante et une affinité pour le communisme. Nous ignorons tout du Monténégro, la découverte est totale et va s’avérer pleine de belles surprises. Alors que nous pensions le traverser en une semaine (le pays a la taille de l’Île de France), il nous en faudra au moins deux avant de nous décider à en sortir.

Les Bouches de Kotor

Nous abordons le Monténégro par les Bouches de Kotor, un ensemble étonnant de 4 baies profondes entourées de hautes montagnes, s’apparentant un peu aux fjords nord-européens, mais débouchant sur la Mer Adriatique. La route qui en épouse le moindre contour offre des vues spectaculaires à chaque virage et traverse de charmants petits villages. Après un arrêt dans la cité balnéaire d’Herceg Novi, qui nous intéressera davantage par son monastère orthodoxe que par son centre historique très touristique, nous nous arrêtons à Lipci observer quelques peintures rupestres datant du VIIIè siècle av. J.-C., d’accès étonnamment libre. L’étape suivante est Risan, où nous décidons de passer la nuit sur une jetée en attendant l’ouverture le lendemain d’une maison ornée de mosaïques romaines du IIè siècle ap. J.-C. C’était sans compter sur le fait que le 2 mai était encore la fête du travail au Monténégro. Ils doivent sans doute travailler beaucoup pour avoir 2 jours de congés à cette occasion. Nous gagnons ensuite Perast, peut-être le plus beau village de la baie bien qu’envahi par la foule, venue en partie visiter 2 îles minuscules hébergeant l’une une église l’autre un monastère. La route se termine par la ville fortifiée de Kotor. Après, si l’on ne veut pas faire le tour complet, il ne reste plus qu’à s’échapper par l’une des nombreuses petites routes en lacets qui partent à l’assaut des montagnes.



Une route à dessein

Au lieu de poursuivre le tour des bouches de Kotor, nous prenons la direction des montagnes au Nord. Alors que la pente n’est encore que très modeste, nous rencontrons une petite succession de lacets qui sur notre GPS et sur Google Earth dessinent une sorte de M. Eh bien ça n’est pas un hasard. Cette sinuosité inutile – la route aurait pu aller tout droit compte tenu de la faible pente – est l’acte volontaire de l’architecte austro-hongrois en charge de la construction de cette route en 1878, tombé amoureux d’une monténégrine dénommée Milena, à qui il a pu offrir cette belle preuve de son affection. Et dans M il y a aussi aime, n’est-ce-pas ?

Un peu plus haut, nous partons à l’assaut d’une impressionnante succession de lacets, 25 virages en épingles à cheveux sur quelques kilomètres, cette fois tout à fait justifiée. De plus, cette route appelée Serpentine est très étroite et assez fréquentée. Croiser les véhicules en sens inverse était presque un challenge à chaque fois. Particulièrement quand il s’agissait de bus. Nous en avons tout de même rencontré trois, nous donnant l’occasion d’apprendre la bonne technique pour que ça passe dans les virages : toujours laisser le bus à l’extérieur !


Purée de poisse

Montés bien haut avec ces routes délicates mais superbes, nous finissons dans le brouillard, et c’est bien dommage parce que notre destination du jour est un petit sommet censé procurer une vue époustouflante à 360° sur la moitié du pays et même les pays limitrophes. A l’arrivée au parking ça n’est pas gagné. Mais il nous reste l’espoir que ça se dégage après avoir gravi les 491 marches qui mènent au Mont Lovcen. Ne croyez pas pour autant que toutes les montagnes du Monténégro soient dotées d’escaliers. C’est qu’ici, au sommet, se trouve le mausolée du prince-évêque préféré du pays, qui a régné de 1830 à 1851, avant que le Monténégro ne devienne une vraie monarchie un peu plus tard. Pierre II Petrovic Njegos était un leader aussi bien politique que culturel, connu pour ses œuvres poétiques et philosophiques. Après que la petite chapelle où il était enterré ait été endommagée par les guerres, le pays reconnaissant l’a transformée en un mausolée étonnant. La démocratie est maintenant de mise au Monténégro, mais un prétendant au trône attend son tour en Bretagne où il est né après l’exil de la famille.

Le brouillard ne se lèvera pas, nous décidons de repartir. Mais Roberto non. Toujours ce démarreur qui ne se lance pas, alors que pourtant tout ce qui est électrique fonctionne. Nous branchons le logiciel de diagnostic sur la prise ODB. Il dit que tout va bien. Et bien sûr, avec une boîte automatique, pas question de tenter de démarrer en prise. Comme ça s’était résolu tout seul il y a 3 jours, nous patientons un peu. Et Roberto finira de bouder. Alors nous changeons nos plans et partons vers la capitale qui n’est qu’à une heure de route et qui possède un garage Fiat-Iveco.


Bagdad Café

Nous trouvons facilement ce tout petit garage qui ne paie pas de mine. À 17h15, un quart d’heure après la fermeture officielle, il est encore ouvert. Nous entrons et cherchons quelqu’un dans ce tout petit local ne pouvant pas recevoir plus de 3 voitures, où règne un certain désordre ambiant et où la télé semble tourner en continu. Je déniche un mécano, branché avec son ordi sur une voiture. J’explique notre problème. Il commence par me dire que c’est encore férié pendant 5 jours (nous sommes le vendredi de Pâques orthodoxe…) avant de me donner, devant mon air dépité, rendez-vous à 8h30 demain matin. Ouf ! Nous dormons sur un terrain vague loin de nos standards habituels mais proche du garage. Roberto démarre correctement et nous sommes pile à l’heure au rendez-vous. Après quelques essais, ils nous disent que le démarreur a peut-être un problème, mais que la batterie aussi. Ils nous démontent le premier, nettoient et graissent tout mais ne trouvent pas grand-chose. La batterie semble moins en forme et il est probable qu’après 3 ans et près de 100 000 km elle soit en fin de vie. Nous acceptons la proposition de la changer. En attendant que la commande arrive d’un stock voisin, on nous amène des chaises puis on nous propose du café, de l’eau, un jus de fruit. Nous déclinons gentiment tout, mais quand ils nous proposent du brandy (!) nous acceptons finalement le café… Que nous dégustons avec eux pendant leur pause. Ils sont vraiment aux petits soins pour nous, nous font visiter le garage, nous montrent où ils en sont, etc. Finalement la batterie arrive et vers 11h, nous repartons avec un Roberto tout fringant et démarrant au quart de tour.


Fuir la foule

Avant que Roberto nous fasse le coup de la panne, nous avions prévu de visiter un monastère orthodoxe très connu dans le pays. Mais pas très facile d’accès. Nous nous sommes dits qu’y aller un week-end pascal n’était pas une si bonne idée et nous décidons de partir du côté opposé, vers une région montagneuse peu visitée. C’est une route magnifique qui nous y mène, longeant d’abord un canyon spectaculaire puis traversant des zones ressemblant un peu au massif des Causses chez nous. C’est de nouveau une voie étroite, par endroits mal revêtue, mais le côté sauvage nous va bien et nous ne croisons que rarement d’autres véhicules. Nous arrivons le soir au village de Gusinje, au cœur d’une vallée bucolique avec ruisseaux, pentes herbeuses, cimes enneigées tout autour et ce qu’il faut de vaches et de moutons pour compléter l’ambiance campagnarde.


Les pieds dans le Plav

Dans le même secteur se trouve le lac de Plav. Encore un décor magnifique avec des couleurs qui n’auraient pas manqué d’inspirer Monet. Mais une fraîcheur – nous sommes à plus de 900 m d’altitude – qui n’incite pas à y tremper autre chose que les pieds. Le village lui-même, sans être exceptionnel, mérite qu’on jette un œil à sa tour en pierre construite au XVIe siècle pour mieux se défendre des invasions ottomanes et à ses mosquées en pierres ou en bois qui montrent que ça n’a pas été si efficace…


Vers le grand oeil bleu

Nous faisons maintenant cap au Nord-Est vers d’autres montagnes, celles du parc naturel du Durmitor. De hauts plateaux, de jolis petits lacs et une couronne de montagnes dont certaines enneigées. Pas moins de 50 sommets à plus de 2000 m d’altitude nous attendent. De décembre à mars, le parc est d’ailleurs une station de ski réputée. Le reste de l’année, il semble que ces grands espaces soient peu visités et c’est bien dommage.


Presque noir


Scenic Road

Nous avions rencontré ce concept lors de notre visite des parcs américains : beaucoup d’entre eux sont dotés d’une « scenic road », une route qui mène à différents points de vue ou départs de randonnées et qui permettrait même de visiter un parc sans descendre de sa voiture. Au parc du Durmitor, nous avons emprunté cette route panoramique sur à peu près les 2/3 de ses 75 km. Bien moins aménagée que ses homologues américaines, elle est particulièrement étroite, jouxte sans protection de nombreux précipices et côtoie des parois à risque élevé d’éboulement si l’on peut en juger par les roches jonchant la route à certains endroits. Elle est à double sens et il est ardu de s’y croiser. Il faut parfois reculer de quelques centaines de mètres pour trouver un petit élargissement approprié. Curieusement, le prospectus recommande une circulation en sens antihoraire SAUF pour les (petits) camping cars à qui il est conseillé l’autre sens… Raymond Devos trouverait certainement que ça n’en a pas. De sens.


Gorge profonde


Le monastère d’Ostrog

Ce monastère isolé en plein centre du Monténégro, est le plus vénéré des chrétiens orthodoxes du pays, la religion majoritaire. Il se compose d’un monastère supérieur, le plus emblématique du fait de son encastrement dans une falaise de 900 m de hauteur, recevant un million de visiteurs par an, d’un monastère inférieur, situé 2 km plus bas, beaucoup moins visité, et de deux petites églises. Le tout premier aurait été créé par Saint-Basile, un évêque d’Herzégovine, qui aurait amené tous ses moines dans 2 grottes présentes dans la falaise après qu’ils aient été chassés de leur monastère initial d’Herceg Novi par les Ottomans. Son corps est maintenant enchâssé dans le mur de la petite église attenante et continuerait de guérir toutes sortes de maladies. Ce qui est bien c’est que toutes les confessions sont acceptées. La santé n’a pas de religion n’est-ce-pas ? De magnifiques fresques ornent l’intérieur, mais les photos sont interdites. Les superbes mosaïques de l’étage supérieur sont par contre accessibles. Une belle ambiance en tout cas et pas tant de monde que ça.


Podgorica

La jeune capitale du Monténégro – elle ne l’est devenue qu’en 2006, à l’indépendance du pays – est le reflet du passé chaotique du pays. Après les divers envahissements plus ou moins destructeurs qu’elle a subis, la ville s’est reconstruite de façon assez hétéroclite en une sorte de melting pot architectural quelque peu déconcertant. Nous y avons flâné une journée et fait tout de même quelques découvertes, démentant ceux qui racontent sur les réseaux qu’il n’y a rien à voir.


Le Temple de la Résurrection du Christ est une superbe cathédrale orthodoxe presque neuve – elle n’a été consacrée qu’en 2014 – avec ses larges dômes surmontés de croix dorées, ses murs en pierres taillées et son intérieur couvert de fresques. Une cérémonie de mariage était en cours lors de notre visite, mais un groupe de touristes ayant été invité par leur guide à rentrer, nous avons suivi le pas. Nous n’avons néanmoins pas pu tout explorer, et nous n’avons pas réussi à dénicher la fresque la plus célèbre, une petite saynète montrant Tito, Marx et Engels brûlant ensemble en enfer. Une vengeance des orthodoxes sur l’interdiction de culte ordonnée par le régime yougoslave. Je vous mets quand même une photo prise sur Internet.


Stara Varos, le vieux quartier ottoman, en dehors de ses ruelles pavées qui tranchent avec les larges avenues de la ville nouvelle, ne possède pas de construction bien typique à part peut être la tour de l’horloge peu mise en valeur et le vieux pont romain. Nous avons été intrigués par contre par de multiples graffitis dans ses rues montrant des vikings et la date 1987. Après recherches, il s’agit d’une référence à la date de création d’un club de fans de l’équipe de foot locale. Ils se sont nommés les « barbares » et sont connus pour être très turbulents, responsables de nombreuses interruption de matches après avoir envahi le terrain, lancé des fusées éclairantes, des gaz lacrymogènes et des objets contondants. Y compris lors de compétitions européennes. Les hooligans monténégrins en quelque sorte.


Du vin de bonne garde

Pas très loin de Podgorica, nous nous arrêtons visiter une cave à vin qui possède une histoire particulière : elle est en effet installée 30 mètres sous terre dans des anciens hangars top secret abritant les avions de l’armée populaire yougoslave. 1 million de litres de vins vieillissent juste sous le vignoble dont ils sont issus. Deux cars de touristes arrivés juste avant nous ont dissuadé de tenter la dégustation, mais c’est une option sur place, y compris avec restauration et accord mets-vins si ça vous tente.


C’est une surprise mais chut !

Peu de gens le savent, mais les chutes du Niagara sont à 10 minutes de Podgorica, au Monténégro. On ne peut pas en douter, c’est écrit dessus. Plus modestes que leurs homologues nord-américaines, elles sont néanmoins de belle prestance et méritent véritablement la visite. A part peut-être au mois d’août où elles auraient tendance à se dessécher, la comparaison n’étant alors plus de mise.


Le Lac de Skadar

La plus grande étendue d’eau des Balkans sert aussi de frontière entre le Monténégro et l’Albanie. Elle est alimentée par une rivière sinueuse bordée de nénuphars, dont on peut observer les magnifiques méandres depuis la route panoramique qui traverse le parc. Plus loin, c’est le lac presque entier que l’on peut observer. Sa faible profondeur, 5 m en moyenne, explique la présence de nombreuses plantes aquatiques lui donnant de belles couleurs, et attirant surtout une faune exceptionnelle. 256 espèces d’oiseaux notamment, dont le rare pélican frisé que nous n’aurons pas le bonheur de rencontrer alors qu’il avait une tête sympathique sur les photos. La route panoramique est aux « normes » monténégrines, c’est-à-dire étroite, tortueuse, mal limitée, sans marquage au sol évidemment, et dont les glissières de sécurité sont remplacées par de simples rochers posés en équilibre au bord du précipice. L’attention nécessairement soutenue du conducteur limite un peu l’observation des paysages pourtant exceptionnels. Heureusement que des arrêts sont ménagés ça et là !


Cetinje

La capitale du pays de 1481 à 1918 est un peu plus chargée d’histoire que sa successeure Podgorica. Elle conserve nombre de bâtiments Art nouveau datant de l’époque où la noblesse européenne rendait visite à celle du Monténégro. D’opulentes demeures d’habitation – dont celle du président, mais aussi des administrations, des ambassades, etc. La construction effrénée noie tout ça un peu plus chaque jour dans des immeubles plus ou moins modernes, mais il persiste suffisamment de bâtiments de caractère pour rendre la visite de la ville agréable. D’autant qu’un certain nombre de ces édifices ont été transformés en musées.   


Laisse béton

« Une petite Dubrovnik, le calme en plus » disait notre guide à propos de Budva, la première ville que nous retrouvons sur la côte. Après la visite de la « perle de l’Adriatique » en Croatie, il nous fallait aller le vérifier. Eh bien nous avons été très déçus. La citadelle qui crève les yeux dans la version croate est ici difficile à apercevoir ici, presque constamment dissimulée par des constructions récentes hideuses. Et une fois passées les murailles, on retrouve la même concentration de boutiques et restaurants, mais sans l’harmonie et la richesse architecturale de la grande sœur croate, définitivement bien supérieure. Le seul point sur lequel nous sommes en accord, c’est le moindre nombre de touristes. Mais il ne faut pas chercher bien loin l’explication.


Un peu plus loin, la presqu’île de Sveti Stefan, certes hyper photogénique, confirme la vente du littoral aux promoteurs immobiliers : là c’est la totalité de cet ancien village, dont les habitants ont été expulsés par le régime communiste, qui a été privatisée, les maisons ayant été reconverties en chambres d’hôtel de luxe. L’accès via l’étroite route est réservé exclusivement aux résidents, tout comme l’une des 2 plages qui l’entourent tandis que l’autre est payante. Du coup, le site touristique le plus photographié au Monténégro est aussi le moins visité. Quel paradoxe !

Et à proximité, de nouvelles constructions sortent déjà de terre, une tendance au bétonnage intensif que nous ne pourrons malheureusement que confirmer en poursuivant la route côtière. C’est décidé, nous repartons vers les montagnes !


Une vie de châteaux

Nous allons trouver sur notre route quelques-uns de ces nombreux châteaux, perchés stratégiquement au sommet de montagnes pour assurer la défense des envahisseurs actuels contre les envahisseurs futurs. Le Monténégro a, malheureusement pour lui, fait l’objet de beaucoup de convoitises dans le passé.

La forteresse de Haj Nehaj fut construite au XVe siècle par les Vénitiens pour se protéger des Ottomans. On y accède par une belle randonnée dans la forêt. Au sommet, on s’étonne de la taille de la construction et on compatit pour les travailleurs qui ont assemblé toutes ces pierres au bord d’un précipice. On distingue encore bien la silhouette de la petite église qui disposait autrefois d’un autel catholique et d’un autre orthodoxe. Nous avons eu la surprise de voir un père et sa fille, ayant gravi comme nous le sentier, venir y prier. La nature envahit délicieusement les lieux et le panorama est bien sûr splendide.


La citadelle de Stari Bar, alors qu’elle est située en plein centre-ville, a le mérite de ne pas être habitée et envahie de commerçants, lesquels sont sagement alignés à l’extérieur des murailles. L’intérieur est dans son jus et fait l’objet de travaux de restauration permanents. On y découvre des restes des différentes civilisations qui ont occupé les lieux, des Illyriens en 800 av. J.-C. aux Monténégrins depuis 1878, en passant par les Slaves, les Vénitiens, les Ottomans. Paradoxalement, ce sont les Monténégrins qui ont le plus abîmé les bâtiments en les bombardant pour récupérer leur bien. Un gros tremblement de terre en 1979 a aussi fait beaucoup de dégâts. Ayant eu la bonne idée de démarrer de bonne heure, nous avons la chance d’avoir le site presque rien que pour nous. C’est en redescendant vers 11h que nous avons croisé quelques « groupeaux », comme nous les appelons…

L’olivier bimillénaire

La région de Bar est couverte d’oliviers, il y en aurait plus de 100 000, et la majorité aurait plus de 1000 ans. Celui-là serait le doyen de toute l’Europe avec ses 2 000 ans d’âge. S’il a résisté aux dégradations des différentes guerres qui ont secoué le pays, il a été un partiellement brûlé par un incendie accidentel : un joueur de cartes qui profitait de son ombre a jeté accidentellement une allumette et l’un des troncs a pris feu. Sans doute un flambeur de poker.


Dernier stop nature dans les ajoncs

Nous n’aurons au cours de cette traversée du Monténégro passé qu’une nuit dans un camping, car nous étions un peu juste en électricité, et une autre en ville, près du garage Iveco dans lequel nous avions rendez-vous le lendemain. Tout le reste a été en pleine nature. Le pays en est largement doté et est plutôt tolérant sur le sujet. Jamais nous n’avons été dérangés ni n’avons craint pour notre sécurité.


La frontière

Nous en avons donc terminé avec ce beau pays qui nous aura réellement émerveillés. Nous nous dirigeons maintenant vers l’Albanie. Une autre aventure commence. Nous allons de nouveau changer de monnaie (vous ai-je dit que, bien qu’il ne fasse pas partie de l’Union Européenne, le Monténégro utilisait l’Euro ?) et devoir composer avec un nouvel opérateur téléphonique, notre forfait Free de 35 Go mensuels ne fonctionnant pas là-bas. Mais si tout était facile, il n’y aurait plus d’aventure ! A bientôt !


Carte